Textes

Intervention au colloque «Relecture de Raymond Aron – Paix et guerre entre les nations – cinquante ans après (1962‑2012)» à l’Académie des sciences morales et politiques le 5 novembre 2012

J’ai rencontré Raymond Aron pour la première fois en 1973. Il m’avait invité à déjeuner au lendemain de ma nomination au Quai d’Orsay, et m’avait longuement parlé de Paix et guerre, dont il était très fier. Un peu plus tard – en 1976 très précisément – je l’ai lu intégralement et annoté à chaque page, et relu plusieurs fois par morceaux depuis. Parallèlement, je me suis attaqué à Clausewitz grâce aussi à Raymond Aron.

François Rabelais. Texte publié dans À quoi sert le savoir, Paris, PUF, 2011

Les grands maîtres de notre tradition humaniste, comme Rabelais ou Montaigne, nous ont appris que le savoir, « ça sert d’abord à former le jugement », et qu’une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine. À deux siècles de distance, le prince de Talleyrand, qui s’y connaissait, distinguait clairement le savoir, le savoir-faire et le savoir-vivre, et n’hésitait pas à conclure que des trois, le plus important est le savoir-vivre.

Version révisée et augmentée d’une préface rédigée en 2011 pour la traduction de À la recherche du temps perdu, publiée sous les auspices de l’Académie roumaine.
Les œuvres sont jugées au tribunal du Temps. Celle de Marcel Proust a aisément gagné en première instance, et l’on ne risque rien en pariant qu’elle l’emportera haut la main en appel. Sa singularité comme son universalité jaillissent dans la chute du Temps retrouvé : « Aussi, si elle [la force…] m’était laissée assez longtemps pour accomplir mon œuvre, ne manquerais-je pas d’abord d’y décrire les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant une place si considérable, à côté de celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place au contraire prolongée sans mesure puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants plongés dans les années à des époques, vécues par eux si distantes, entre lesquelles tant de jours sont venus se placer – dans le Temps. »

Version révisée d’une communication à l’Académie des sciences morales et politiques, le 28 février 2011.

Lorsque, dans les années 1978 et 1979, je jetais les fondations de l’Institut français des relations internationales (Ifri), seuls quelques initiés connaissaient en France le vocable think tank et avaient une idée au moins approximative de ce qu’il recouvrait. Ce vocable est devenu à la mode mais ne fait encore l’objet d’aucune définition consensuelle. On le traduit généralement en français par laboratoire d’idées.

Texte révisé d’une intervention au colloque « La vie et l’œuvre de Maurice Allais », à l’École des Mines de Paris, le 31 mai 2011

Je suis de ceux parmi nous aujourd’hui qui ont eu Maurice Allais comme professeur à l’École des Mines. C’était en 1966-1967. Ses anciens élèves se souviennent de la salle de cours, revêtue de panneaux muraux truffés d’équations. Il avait un collaborateur, Monsieur Berthier (à l’époque, on ignorait les prénoms). M. Berthier était son homme à tout faire. Il disposait les tableaux, que le professeur commentait au fur et à mesure. C’est M. Berthier qui, le 29 juin 1992 en début d’après midi, me téléphona pour m’informer d’une voix sinistre que je venais d’être élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques…

Réflexions autour de la première grande crise du XXIe siècle. Discours prononcé à l’occasion de la réception de Thierry de Montbrial à l’Académie royale des sciences économiques et financières de Barcelone, 18 mars 2010.

Il est banal de dire que la crise financière et économique globale qui a éclaté en 2007 avec l’effondrement du marché hypothécaire des subprimes aux États-Unis est sans précédent, et qu’elle n’est seconde en ampleur que par rapport à la Grande Dépression des années 1930.

Thierry de Montbrial - Leçon finale à l'école polytechnique

Leçon finale » donnée par l’auteur à l’amphithéâtre Henri-Poincaré de l’École polytechnique, le 7 mai 2009

Pendant les années où j’ai été professeur dans cette maison, j’ai enseigné deux disciplines : l’économie entre 1969 et 1995, puis, jusqu’en 2008, la « géopolitique » ou plus précisément la stratégie et les relations internationales. Je pense qu’il y a continuité entre les deux disciplines. Si je me suis intéressé très tôt à l’économie, c’est pour une raison que j’ai partagée avec mon maître Maurice Allais, prix Nobel de science économique en 1988 : il faut utiliser l’intelligence humaine pour tenter d’éviter les malheurs collectifs.

Texte publié dans Michel Rocard et Nicole Gnesetto (dir.), Notre Europe, Paris, Robert Laffont, 2008

Les relations transatlantiques ont été façonnées par un double héritage : celui de l’expérience individuelle de chaque pays européen avec le Nouveau Monde et celui de la guerre froide. Il en résulte une double série d’histoires et de représentations géopolitiques qui interfèrent, de sorte qu’au début du XXIe siècle, la diversité caractéristique de la culture de l’Union européenne (UE) se projette inéluctablement dans ses relations avec les États-Unis. Ainsi les États-Unis nous divisent-ils dans un double sens. D’une part, parce que nous sommes divisés entre nous vis-à-vis d’eux.

Discours à l’occasion de l’installation de S.A.R. le Prince El-Hassan Bin Talal de Jordanie à l’Académie des sciences morales et politiques le 16 juin 2008

En accueillant Votre Altesse Royale en son sein, notre compagnie a voulu rendre hommage à un homme d’État ; à un penseur de la politique, chercheur inlassable de solutions constructives et respectueuses des droits fondamentaux de l’homme ; à un humaniste, convaincu de la complémentarité des civilisations ; à une figure majeure d’un islam modéré et moderne.

Conférence prononcée le 6 janvier 2006 à France-Amériques en ouverture des célébrations du tricentenaire de la naissance de Benjamin Franklin

Benjamin Franklin est né à Boston, le 17 janvier 1706. Lorsque, soixante-dix ans plus tard, en décembre 1776, il débarqua, mandaté par le Congrès continental (le seul organe de gouvernement commun aux treize colonies de 1774 à 1788) pour obtenir le soutien de la France – six mois après la Déclaration d’indépendance américaine à laquelle il avait contribué en donnant à Jefferson des leçons de concision dans l’écriture –, une réputation inouïe le précédait. Il était, selon une formule que certains prêtent à Turgot et d’autres à d’Alembert, l’homme « qui avait arraché la foudre au ciel et le sceptre aux tyrans »