Présentation de la 11° édition de la World Policy Conference

La 11° édition de la World Policy Conférence s’est tenue du 26 au 28 octobre 2018 à Rabat

11° édition de la World Policy ConferenceLa World Policy Conference (WPC) – faut-il le rappeler ? – a pour mission de contribuer à promouvoir un monde plus ouvert, plus prospère et plus juste. Mais on doit ajouter que cela suppose un effort permanent pour comprendre la réalité des forces en jeu ainsi que leurs interactions, et pour réfléchir à l’adaptation pacifique de l’organisation des rapports interétatiques à tous les niveaux, dans le respect de la culture et des intérêts fondamentaux de chaque nation.

La première WPC – en octobre 2008 – reste marquée par le début de la fin de l’idéologie caricaturale de la mondialisation libérale. Près de 11 ans après notre première rencontre à Évian, bien des crises – économiques et politiques – ont eu lieu. Mais aucune n’a dégénéré à l’échelle globale. En cela, on peut voir le verre à moitié plein. Sans verser dans le pessimisme, on est cependant obligé de se préoccuper de la dégradation continue de la gouvernance mondiale. Les États-Unis s’enfoncent dans l’unilatéralisme avec une conception étroite et brutale de leurs intérêts nationaux. La Chine est consciente de la nécessité d’un ordre mondial reposant sur des règles du jeu, mais elle veut les redéfinir en sa faveur. Donald Trump utilise le commerce et la monnaie comme des armes au service de sa politique. Il en tire des profits à court terme, sans voir que les concurrents ou adversaires de l’Amérique finiront par s’adapter à son détriment et à celui de la notion d’ordre libéral. Le président des États-Unis n’hésite pas à ériger l’insulte en principe de politique étrangère, et à constamment exacerber les passions. Il méconnaît le principe de sagesse selon lequel l’intérêt bien compris de tout gouvernement est de les modérer. Si l’hôte de la Maison-Blanche se conduit ainsi, comment s’étonner de la montée des populismes et des « démocraties illibérales », en Europe et ailleurs ? Ou bien des régimes autoritaires, à commencer par la Chine ? Les premiers en rajoutent en imitant Trump. Les autres capitalisent sur la peur. Doit-on se résigner à penser qu’à la limite la révolution numérique débouchera sur la dictature, directement ou via l’anarchie ?

Si l’ordre mondial est aujourd’hui menacé, c’est aussi parce que nombre de pays, du Sud comme du Nord, de l’Est comme de l’Ouest, souffrent de faiblesses identitaires. Or la notion d’intérêt national est dépourvue de sens dans un pays désuni. Le principal paradoxe de la mondialisation est que d’un côté elle implique chez chacun une conception de plus en plus large de l’intérêt national. En d’autres termes, une souveraineté de plus en plus solidaire. De l’autre, elle tend à fracturer les unités politiques davantage qu’elle ne les rapproche. Dans ce contexte, les démocraties libérales paraissent souvent impuissantes. En conséquence, elles risquent de perdre leur légitimité, au profit des démocraties illibérales. Le rejet actuel des élites tient à ce qu’elles sont rendues responsables des difficultés systémiques des démocraties contemporaines. Certains croient possible de sauver la démocratie en promouvant sa forme participative. Mais n’est pas la Suisse qui veut. Et d’ailleurs, qui le veut, en dehors de la Suisse ? Si la notion d’ « intelligence collective » a un sens, ce n’est pas que de n’importe quelle assemblée constituée au hasard puisse émerger de bonnes solutions aux problèmes les plus complexes. La remarque vaut pour les relations internationales, dont la compréhension suppose de la maturité et une réelle connaissance des autres.

Ce qui nous ramène à la mission de la WPC. Sa 11e édition, à Rabat, a été saluée par ses participants pour l’excellence des débats et la qualité des intervenants. Faut-il rappeler qu’elle rassemble au premier chef des personnalités qui exercent ou ont exercé de hautes responsabilités économiques ou politiques ? La WPC n’est pas un club d’experts ou de journalistes, même si d’excellents experts et journalistes en font partie. Son lien avec l’Ifri est historique et ne signifie nullement qu’elle réponde au modèle classique d’une « conférence de think tanks ». Elle s’apparente plutôt à des clubs comme la Commission trilatérale ou le Bilderberg – sans tomber dans l’écueil du secret – créés au temps de la guerre froide, et c’est ainsi que je l’ai conçue.

Pour revenir à la notion d’intelligence collective et aux conditions de sa pertinence, le but que la WPC doit poursuivre est d’améliorer constamment la qualité et la composition du « bouquet » de la communauté qu’elle constitue, grâce à quoi elle se montrera de plus en plus capable de faire émerger de bonnes idées transformables en actions par les architectes du monde futur, pourvu qu’ils en aient le courage.

Voir le discours d’ouverture et le discours de clôture, ainsi qu’une interview réalisée pendant la conférence.