Journal de Russie – en russe

Traduction russe de « Journal de Russie » Journal de Russie, Aspect Press Ltd, 2019

Livre Journal de Russie, Thierry de Montbrial, Traduction Russe
Livre Journal de Russie, Thierry de Montbrial, Traduction Russe

Préface de Anatoli Torkounov, Recteur du MGIMO, Coprésident du Dialogue de Trianon franco-russe

C’est un livre hors du commun, écrit par un homme hors du commun. Je l’ai d’abord lu en français, malgré ma piètre connaissance de cette langue, avant de suggérer à l’auteur de le publier en russe. Je pense que ce livre sera un beau cadeau pour tous les amis et interlocuteurs de longue date de Thierry de Montbrial. La sortie de l’édition russe coïncident avec le 40e anniversaire de l’Ifri, un anniversaire qui sera célébré également à Moscou. Ce n’est pas un hasard, car l’Ifri s’est affirmé comme le principal « institut russe » en France depuis plusieurs années.

Mais revenons au début de l’histoire. Thierry de Montbrial (je crois pouvoir me permettre, comme nous nous connaissons depuis de longues années, de l’appeler tout simplement Thierry) – fondateur, directeur, et aujourd’hui président de l’Ifri – est apparu à mon horizon professionnel à la fin des années 1970-début 1980. De façon surprenante, le jeune institut qu’il a fondé est rapidement devenu connu et respecté en Union soviétique. La sphère de mes propres intérêts professionnels à cette époque était éloignée de la France ; je m’occupais des questions liées à la Corée, à l’Asie du Nord-Est, tout en travaillant à l’ambassade de l’Union soviétique à Washington. Contrairement à de nombreux centres de recherche étrangers, l’Ifri avait, dès la première décennie de son existence, un positionnement démocratique et transparent. Dès ses débuts, il s’est imposé comme leader en termes de qualité d’analyse et de rapidité de réaction à l’égard des thématiques émergentes. Dès les années 1970, Thierry – alors jeune diplomate et analyste –, puis l’Ifri, ont fait preuve des compétences incontestables devant leurs collègues soviétiques. Thierry en parle dans les chapitres de son Journal consacrés à ses premières visites à Moscou, à son expérience unique de discussions avec les représentants de l’élite intellectuelle et politique de cette époque dont mes collègues et amis de longue date – Arbatov, Bogdanov, Inozemtsev, Roubinski, Ratiani. D’une manière générale, ce sont les experts des relations internationales francophones qui ont facilité l’intégration de l’Ifri dans les réseaux de recherche soviétiques (et russes). Le rôle essentiel a été joué par notre ami commun, Ivan Tiouline, auquel de nombreux passages du livre, empreints de chaleur et de reconnaissance, font référence.

L’Institut dirigé par Thierry a commencé à organiser des séminaires et des conférences conjointement avec l’IMEMO soviétique de façon régulière dans les années 1980, et dans les années 1990, c’est le MGIMO qui devient le partenaire clé de ce canal de communication (track II) des relations franco-russes.
La figure de Thierry de Montbrial et de son institut dans les années 2000-2010 évoque, pour beaucoup d’entre nous, des programmes et des projets de grande ampleur, tels que « Politique européenne et énergie » ou la « World Policy Conference » (WPC). Plusieurs ouvrages essentiels de Thierry de Montbrial ont été traduits en russe ; le premier d’entre eux, Mémoire du temps présent, reste aujourd’hui un modèle de finesse de compréhension et d’anticipation d’une époque porteuse de changements tumultueux.

D’aucuns pourraient se demander : en quoi consiste le caractère unique de Thierry de Montbrial et de son épopée russe ?

Premièrement, le fait que Thierry soit passé par les sciences exactes avant de s’engager dans les relations internationales, et y ait apporté sa méthode spécifique d’analyse des problèmes politiques – la capacité à identifier les liens de prime abord difficilement perceptibles, mais à long terme, logiques et stables, entre les différents éléments d’un système politique.

Deuxièmement, Thierry est un organisateur et entrepreneur hors pair. Il est capable de créer des instituts et lancer des projets qui restent emprunts de sa personnalité et de son caractère, loin d’être simple et facile. Si ces projets servent dans leur majorité les intérêts de la France à long terme, et l’État bénéficie des résultats de l’analyse et des prévisions faites par Thierry, je n’imagine pas qu’on puisse dicter à Thierry la façon de les réaliser. Il reste toujours maître de son projet, de son initiative.

Troisièmement, Thierry s’est intéressé à l’Union soviétique par la force des choses – l’importance de notre pays sur la scène mondiale rend celui-ci incontournable pour tout expert des relations internationales. Venu en Russie par « nécessité » professionnelle et sans attachement particulier pour la langue ou d’éventuelles racines russes (à ma connaissance, Thierry n’a jamais appris le russe, ni tissé de liens familiaux en Russie), il s’est imposé comme l’une des figures clés de la communauté d’experts des relations internationales et de politique étrangère traitant de la Russie. Je soupçonne que Thierry soit « tombé amoureux » de la Russie progressivement, sans pour autant se départir d’une dose de scepticisme, d’ironie, et parfois même de quelques notes d’arrogance académique dans le traitement de l’objet de ses recherches et de son amour.

Quelques mots, à présent, sur ce qui fait l’originalité du livre de Thierry. Il s’agit d’une chronologie personnelle écrite par un professionnel des relations internationales durant quatre décennies. L’auteur évolue avec le temps, tout comme la profondeur de sa compréhension de la Russie. En même temps, de façon paradoxale, les écrits les plus précoces sont si heuristiques dans leurs raisonnements, qu’ils nous conduisent à remettre en cause notre propre perception de la réalité de l’époque. Les réflexions concernant les périodes plus tardives sont plus classiques, « panoramiques », profondes.

L’ouvrage est parfois d’une franchise abrupte, et certains de ceux qui y sont mentionnés peuvent (ou pourraient) en tenir rigueur à l’auteur. Cependant, je suis toujours parti du principe que Thierry était un homme de bonne volonté et n’avait pas d’intentions malveillantes lors de la rédaction de son Journal. Par bonheur, l’ouvrage contient aussi de nombreuses références à ceux qui continuent activement à travailler et à échanger avec Thierry, et l’auteur lui-même se rend souvent en Russie, ce qui leur offre la possibilité de rectifier les perceptions mutuelles.

Bonne lecture !

Anatoli Torkounov,
Recteur du MGIMO,
Coprésident du Dialogue de Trianon franco-russe