Présentation de la 10° édition de la World Policy Conference

La 10° édition de la World Policy Conférence s’est tenue du 3 au 5 novembre 2017 à Marrakech

La World Policy Conference (WPC) a été fondée avec la conviction que le triomphe de l’idéologie de la mondialisation libérale, à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique et de l’éclatement de l’Empire russe, ne marquait pas la fin de l’histoire ou l’avènement de la paix et de la prospérité universelles. Cette idéologie postulait comme une évidence l’expansion sur toute la planète de la démocratie de type occidental, avec l’effacement des frontières et des États devant l’oligopole des entreprises mondiales, apparemment convaincues de leur vocation à exercer leur responsabilité sociale au service du bien commun. Le terrorisme international, dont la manifestation la plus spectaculaire reste associée à la date du 11 septembre 2001, était vu comme une aberration corrigible par quelques interventions militaires bien choisies. En 2003, les néoconservateurs américains jugeaient que le renversement du régime de Saddam Hussein réglerait le problème du Moyen-Orient. Ce régime n’était d’ailleurs pas le seul dans leur collimateur.

Le point de vue de la WPC a d’emblée été différent. Pour nous, les États restent les unités fondamentales du système international, et les nations sont insolubles dans un grand tout, parce que toute culture est particulière. Les religions continuent de jouer un grand rôle pour des raisons anthropologiques fondamentales, mais aussi comme des marqueurs majeurs d’ordre ethnologique, sociologique et politique, et ce quand bien même les acteurs qui les manipulent en recourant aux méthodes les plus barbares auraient été anéantis. Les institutions de la gouvernance mondiale peuvent et doivent être améliorées et complétées, mais nous ne croyons pas à la paix par le seul droit, car les institutions les plus élaborées reflètent des rapports de force en constante évolution. Et d’ailleurs, ceux-là même qui identifient la politique et le droit n’hésitent pas à le transgresser à l’occasion. À vue humaine, une bonne gouvernance mondiale doit se donner pour objectif à moyen terme le maintien d’un monde raisonnablement ouvert, ce qui implique des rapports entre les nations à la fois plus équitables et plus respectueux de leur diversité. Elle doit en particulier prendre sérieusement en compte les intérêts des pays du Sud, et faire l’apprentissage de la cogestion face à des problématiques aussi complexes que le changement climatique et l’environnement, ou encore les mouvements migratoires. Tout cela prendra beaucoup de temps, aussi bien pour des raisons techniques que culturelles et politiques.

Les organisateurs de la WPC ne sont pas intéressés par les effets de spectacle. Ils sont conscients de l’importance de ce que l’on pourrait appeler la technologie de la gouvernance, mais ils mettent d’abord l’accent sur le dialogue constructif à propos des questions géopolitiques, géoéconomiques, culturelles, mais aussi technologiques. Car le schéma institutionnel le plus séduisant sur le papier est voué à l’échec s’il ne repose pas sur une vision partagée entre les acteurs. C’est la recherche d’une telle vision qui nous intéresse au premier chef.

L’histoire du monde au cours des années 2008-2017 – qui marque la première décennie de la WPC – démontre amplement ce théorème, que de leur côté les partisans de l’intégration européenne connaissent depuis longtemps.

Dans la période la plus récente, la gouvernance mondiale a été soumise à rude épreuve avec l’avènement du président Trump, les méfaits du terrorisme international, les vagues de réfugiés, le défi de la démocratie illibérale, l’affirmation par certains pays de leurs intérêts nationaux étroitement conçus – au risque de provoquer des confrontations –, la crise nucléaire sur la péninsule coréenne, un renouveau de la course aux armements, le problème général des inégalités dans le monde et les réactions qu’elles suscitent, la guerre en Syrie qui n’en finit pas, l’affrontement tous azimuts entre l’Iran et l’Arabie saoudite, sans parler des instabilités économiques et financières potentielles, en dépit d’une conjoncture globale plutôt satisfaisante dans l’immédiat, et j’en passe. Le monde que nous promettent les idéologues de la technologie sera peut-être radieux, en tout cas bénéfique sous de nombreux aspects. Mais actuellement il s’entrechoque durement avec celui dont nous avons hérité du XXe siècle.

Heureusement, le pire n’est jamais certain. Si l’on doit toujours, quand on spécule sur l’avenir, garder à l’esprit la possibilité des « cygnes noirs » négatifs, il ne faut jamais oublier non plus que les cygnes noirs peuvent aussi être positifs. Au début de l’année 2017, bien des observateurs parmi les plus crédibles, croyaient l’Union européenne condamnée. Aujourd’hui, après une série d’événements improbables, le paysage est nettement plus rassurant. Autre exemple : une certaine détente s’est instaurée sur la péninsule coréenne, alors qu’on pouvait craindre le pire. Le point essentiel est que, contrairement par exemple à 1914, aucune des grandes puissances de la planète ne souhaite marcher vers la guerre. À son niveau, la WPC a l’ambition de donner toutes leurs chances aux cygnes noirs positifs.

Au cours de sa première décennie, la WPC s’est réunie trois fois à Marrakech, et c’est au Maroc qu’elle a fêté sa dixième édition. Ce pays appartient au continent africain et s’y montre actif, tout en s’affirmant clairement dans les quatre directions, nord-sud et ouest-est. La présence de la WPC au Maroc rappelle que la géopolitique de la paix ne doit plus être pensée dans des cadres directement issus de la guerre froide, comme il en subsiste tant. Que le cadre soit important, ma fréquentation des principaux clubs et forums internationaux, tous marqués par leur histoire, m’en a convaincu depuis longtemps. Si la première partie de la vie de la WPC est généralement considérée comme un succès, c’est aussi parce que le Maroc a compris notre intention et, en nous accueillant, l’a faite sienne.

Voir le discours d’ouverture et le discours de clôture, ainsi qu’une interview réalisée pendant la conférence