Perspectives du RAMSES 2017
Les Perspectives rédigées en juillet 2016 en introduction du Rapport annuel de l’Ifri le Ramses 2017
Economie et politique
Le rêve d’une mondialisation heureuse se dissipe peu à peu, mais le phénomène polymorphe de l’interdépendance continue de s’approfondir, toujours aussi peu maîtrisé. L’interdépendance est une réalité économique et politique, qu’au début du XXIe siècle on associe principalement aux “pays émergents“, comme les “BRICS“ et quelques autres. Or, après des phases de décollage plus ou moins comparables et plus ou moins synchrones, la plupart de ces pays connaissent actuellement des difficultés qui pèsent sur l’économie mais aussi la politique mondiale.
La Chine à l’heure de Xi Jinping
A tout seigneur tout honneur, il faut commencer par la Chine, engagée dans une nouvelle phase, beaucoup plus difficile, de son développement. Le temps de la croissance extensive est terminé et celui d’une nouvelle vague de réformes de structures dans tous les domaines (monnaie et finance, protection sociale, environnement etc.) ne fait que commencer. S’il est une civilisation qui a su cultiver l’art du gouvernement à travers les millénaires, c’est la Chinoise. Déjà, Deng Xiaoping avait accompli un tour de force avec le passage direct de la révolution culturelle à la modernité. Il y est parvenu avec une poigne de fer. Le massacre de la place Tiananmen de juin 1989 est resté dans toutes les mémoires. Où en serait l’Empire du Milieu si le leadership d’alors avait reculé ? Fort de cette leçon et de l’histoire des dynasties, le Parti a conclu qu’après le régime un peu molasse de Hu Jintao porté par une économie triomphante, seul un leadership très fort permettrait de surmonter les coups de vent présents (catastrophes industrielles, écologiques…) et à venir. D’où Xi Jinping et sa concentration progressive des pouvoirs, la lutte contre la corruption – qui sert aussi de façade à l’élimination des adversaires politiques, le renforcement du contrôle des intellectuels, de la censure, et j’en passe.
D’où aussi une politique extérieure de plus en plus affirmée, tout en restant prudente. D’un côté, Pékin affirme ses droits sur les mers de Chine orientale et méridionale, promeut l’ambitieuse vision d’une nouvelle route de la soie, et favorise à l’échelle planétaire – notamment à travers ses fonds souverains – l’acquisition de toutes sortes d’entreprises ou d’infrastructures ; de l’autre, il s’engage de plus en plus résolument dans l’apprentissage de la diplomatie multilatérale et de la participation active aux organisations internationales de toute nature, tout en manifestant, comme les autres grandes puissances, une conception instrumentale du droit international.
Le leadership chinois a parfaitement compris la menace pour sa légitimité d’un accroissement des inégalités en un temps de ralentissement structurel. A l’ère de la mondialisation, tous les pays sont concernés par ce problème – alors même que les inégalités entre les pays pris comme des touts diminuent – mais en politique chacun juge midi à son heure. D’où, aussi, le retour à des formes d’idéologie que les Occidentaux pouvaient croire d’un autre âge, comme le rappel à l’ordre des membres du Parti communiste priés de ne pas perdre de vue leur mission : la construction d’un “socialisme avec des caractéristiques chinoises“. Il ne faut pas oublier que la grande majorité (peut être 70%) de la population chinoise vit encore en état de sous développement et que dans ce pays, la propagande est quasiment un genre littéraire. Quoiqu’il en soit, les grands tycoons ont intérêt à bien se comporter, un peu comme les oligarques russes depuis leur reprise en mains par Poutine, évidemment dans un contexte politique et économique bien différent.
Plus ça change et plus c’est la même chose ?
Le désenchantement ambiant sur les pays émergents peut donner une impression d’uniformité, mais la réalité est différente. L’entrée de la Chine dans une phase plus inclusive de son développement est chose naturelle. Si l’on se refuse à tout parti pris idéologique, on ne peut qu’être impressionné par les efforts du Parti communiste chinois pour se donner les meilleures chances de réussite. Ailleurs, il faut analyser les situations au cas par cas. Ainsi les déboires du Brésil semblent-ils donner raison à ceux, comme Stefan Zweig ou Clémenceau, qui exprimaient leur scepticisme avec des aphorismes du genre : « Le Brésil est un pays d’avenir et qui le restera». Le fait est qu’après le succès de l’ère Cardoso, prolongée, du moins l’a-t-on cru, sous la présidence de Lula, la présidence de Dilma Roussef a vu remonter jusqu’à la surface ce qu’il y a de pire dans la politique quand elle se réduit à la corruption et aux magouilles. La destitution de l’ancienne collaboratrice de Lula, après d’affligeantes manœuvres visant à protéger son mentor, ne suffit pas pour augurer des temps meilleurs.
On a toujours tendance à sous-estimer la difficulté des réformes, quand elles touchent au plus profond d’une culture. Les Français en savent quelque chose. Raison de plus, a contrario, pour porter un regard objectif sur l’aventure dans laquelle se trouve engagée la Chine. Le cas de l’Inde est à cet égard fort intéressant. Si l’on en croit les statistiques, la croissance du sous-continent est actuellement plus élevée que celle de la Chine, mais elle pèse moins globalement et surtout sa réalité est controversée, sans parler des doutes qui perdurent sur la capacité du Premier ministre BJP Narendra Modi de mener à bien les réformes structurelles, notamment dans le secteur bancaire et la fiscalité. On en revient toujours là. Au début des années 1990, l’Inde a rompu avec le socialisme de Nehru et de la grande époque du parti du Congrès, mais progressivement le naturel des comportements est revenu. Modi sera-t-il capable de placer son pays sur une pente de développement durable ? Nul ne le sait.
Le ralentissement de la croissance mondiale, les nouvelles technologies et l’indépendance énergétique retrouvée aux Etats-Unis « expliquent » la chute des prix du pétrole, certainement l’un des phénomènes les plus importants de la période sous revue dans cette édition du Ramsès. Je mets des guillemets car on ne compte pas les erreurs de prévision dans ce domaine, alors même que des centaines d’esprits tous plus brillants les uns que les autres consacrent leur vie professionnelle à l’étude des marchés des hydrocarbures, et d’ailleurs, contre toute attente, les cours ont rebondi ces tous derniers mois, avec des événements plus circonstanciels au Nigéria et au Canada notamment. Les pays ou zones importateurs comme l’Europe (également favorisée par la baisse de l’euro) ont profité de la situation. Mais le bonheur des uns fait le malheur des autres, en l’occurrence des pays producteurs peu diversifiés, parmi lesquels la Russie, l’Algérie ou l’Arabie Saoudite.
Attardons-nous un instant sur la Russie, un exemple particulièrement intéressant pour qui s’intéresse aux relations entre l’économie et la politique. Toujours aussi dépendante des hydrocarbures pour son budget, affaiblie par les sanctions constamment renouvelées suite aux aventures ukrainiennes, la Fédération n’est pas sortie de la récession et de nombreux indices révèlent que les contraintes subies par la population ont engendré un mécontentement palpable. Ce mécontentement est-il de nature à menacer Vladimir Poutine ou tout au moins à l’obliger à changer de politique étrangère ? La réponse paraît clairement négative. Alors qu’en 2012 son retour au poste suprême avait rencontré quelques résistances, peu d’observateurs doutent aujourd’hui de sa réélection en 2018 pour un nouveau mandat de six ans. Sous réserve bien sûr des accidents de l’Histoire. Comme d’autres régimes autoritaires, celui de Poutine s’est appuyé sur les difficultés extérieures pour se renforcer à l’intérieur.
Une comparaison entre la Chine et la Russie peut être éclairante. Depuis la mort de Mao Zedong il y a quarante ans, le Parti Communiste Chinois (PCC) a largement démontré sa capacité à assurer la continuité du pouvoir quoiqu’il arrive, même si les plans de succession n’ont certainement pas la fluidité de ceux des entreprises capitalistes parvenues à une certaine maturité. En Russie, nul ne peut prédire les conséquences d’une éventuelle disparition brutale de l’actuel tsar, dont on ne connaît pas d’héritier naturel. Pareil événement déboucherait sur un temps de troubles. Tout suggère que le renforcement du pouvoir de la Cité Interdite vise à favoriser les réformes nécessaires à la poursuite du développement économique. Rien de tel du côté du Kremlin, qui n’a jamais mis l’économie au centre de ses priorités. Sa priorité, c’est la politique étrangère, alors que pour le leadership chinois la politique économique et la politique étrangère se situent sur le même plan, le succès de la première permettant d’asseoir sur des bases solides celui de la seconde.
Poutine est persuadé que l’Union soviétique aurait pu durer très longtemps malgré les faiblesses de son système économique, et telle est sans doute sa vision de l’actuelle Fédération de Russie, une fois consolidée par lui faute d’avoir pu faire aboutir son projet d’Union eurasiatique. Une vision que ne partagent pas les Occidentaux, dont un des défauts est de se croire les mieux placés pour définir les intérêts des autres. Pour autant, comme sur ce point les Chinois, Poutine sait ne pas aller trop loin dans ses engagements extérieurs. Contrairement aux craintes de tant d’observateurs étrangers, il s’est contenté – si l’on peut dire – d’annexer la Crimée et d’entretenir l’abcès du Donbass, en mettant l’Ukraine devant ses propres incapacités et illusions. En mettant aussi les Occidentaux dans l’embarras, car face aux désordres du monde – notamment au Moyen-Orient – et à leurs échecs passés, certains d’entre eux voudraient bien passer l’éponge et lever les sanctions. En attendant le moment opportun pour ce faire, l’Otan déploie des systèmes anti-missiles et continue de s’élargir (Monténégro). Elle cherche à rassurer ceux de ses nouveaux membres à l’est de l’Europe – surtout les pays baltes et la Pologne – qui s’estiment menacés par la Russie, ce qu’en retour le Kremlin perçoit comme un véritable chiffon rouge. Ce type d’action – réaction perdant-perdant durera aussi longtemps que la question d’une conférence paneuropéenne sur la sécurité n’aura pas été reprise.
En regard de cette sorte de guerre de tranchée, fort est le contraste avec la guerre de mouvement qui se joue au Moyen-Orient. Au début de la période couverte par ce Ramsès, les Occidentaux, encouragés notamment par la Turquie et l’Arabie Saoudite, faisaient encore reposer leur politique dans la région sur le dogme du départ préalable de Bachar El Assad. Une condition rejetée par l’Iran et par la Russie à cause de leurs intérêts bien compris, mais aussi en raison de leurs analyses différentes de la situation : si le départ d’Assad devait être autre chose que son remplacement par un proche du régime, ne risquerait-on pas un accroissement supplémentaire du chaos, avec toutes ses conséquences ?
Une fois encore, Poutine a créé la surprise. Après s’être vu refuser le projet d’une sainte alliance – incluant Assad – contre Daech, il décida d’engager contre les différents groupes djihadistes ses forces, principalement aériennes, en concentrant d’abord les efforts – au grand dam des Occidentaux et de leurs amis sunnites – contre les opposants à Assad, avant de les retourner en partie contre l’Etat islamique. Une des nombreuses difficultés au Moyen-Orient est que chacun a ses terroristes. Ceux d’Assad ne sont pas seulement Daech, et ceux de la Turquie sont d’abord les Kurdes du PKK. La Russie et la Turquie sont d’ailleurs passées près d’un gouffre lorsqu’un avion russe a été abattu par un avion turc. Il a fallu plusieurs mois pour dépasser l’incident, cependant que les acteurs commençaient à se réaligner dans l’ensemble de la région.
En tous cas, cette fois encore, Poutine a su ne pas aller trop loin, et retirer ses forces après avoir atteint ses objectifs : sortir la Russie de son isolement après la crise ukrainienne ; rétablir une forme de parité avec Washington sur un théâtre régional ; renforcer Assad tout en gardant sa liberté d’action vis-à-vis de lui ; éviter le chaos du scénario libyen ; réduire l’influence de Daech. Ces objectifs, il les a atteints avec une indéniable intelligence stratégique et seulement un minimum de moyens matériels, tant il est vrai que dans le monde actuel la majorité des conflits est de nature asymétrique, ce qui peut jouer en faveur d’un Etat comme la Russie, malgré sa faiblesse économique.
Le tournant saoudien
Quelle que soit la volatilité des marchés des hydrocarbures à court et moyen terme, les préoccupations écologiques et les progrès technologiques favorisent les énergies renouvelables et les grandes entreprises du secteur ne s’y trompent pas. A plus ou moins long terme, les pays dont la puissance économique restera trop dépendante des hydrocarbures seront déclassés. D’où, au-delà des considérations précédentes, un défi de diversification que doit relever la Russie si elle entend rester durablement attachée à son rang, et qui se pose aussi à bien d’autres Etats à l’histoire moins éclatante – comme le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, l’Algérie ou l’Arabie Saoudite – mais qui se sont habitués à mener grand train grâce à leurs rentes de situation.
La question est très immédiatement sensible en Algérie, face au problème de succession, mais aussi en Arabie Saoudite qui se trouve devant un tournant de sa brève histoire. Le royaume affronte en effet deux dangers mortels, alors que la dynastie s’est épuisée à mesure que les innombrables fils du fondateur Abdul Aziz bin Seoud se succédaient au trône en l’affaiblissant. D’un côté, la menace iranienne, certes atténuée par l’accord du 14 juillet 2015 sur l’enrichissement nucléaire ; de l’autre, celle du fondamentalisme islamiste dont la forme la plus immédiatement pressante est l’Etat islamique, Daech. La menace fondamentaliste déstabilise le pacte cardinal entre le wahhabisme et la famille régnante, dans un contexte où celle-ci manque de largesse à distribuer. Tout ceci également en un temps où le lien originel entre le royaume et les Etats-Unis (sécurité contre pétrole) s’est irréversiblement distendu, en raison d’une part d’une crise de confiance née des attaques du 11 septembre 2001, d’autre part de l’indépendance énergétique retrouvée de la puissance dominante.
Comme toujours et partout dans les temps difficiles, la préoccupation principale est l’unité nationale. Le roi Salman, parvenu âgé et fatigué sur le trône, n’en est pas moins une personnalité remarquable. Il a compris la nécessité vitale de changer de génération, dans ce pays où la population est extrêmement jeune, et d’instaurer un pouvoir fort alors que, pendant des décennies, les divisions familiales ont mis la monarchie en péril, ne serait-ce qu’à travers la multiplicité des réseaux de financement non maîtrisés, comme si des dizaines ou des centaines de princes jouaient aléatoirement avec le feu. Ainsi a-t-il en place un prince héritier, son neveu Mohamed bin Nayef, et un vice-prince héritier encore beaucoup plus jeune, son fils Mohamed bin Salman – le premier chargé surtout de la sécurité intérieure, le second surtout de l’extérieur (défense et affaires économiques internationales).
Le vieux sage a sans doute jugé que le contexte ne lui permettait pas d’installer directement le second, quitte à prendre le risque d’une dangereuse rivalité. Jusqu’ici, vu de l’extérieur, le fils a émergé comme la personnalité dominante. On le voit s’engager dans des directions audacieuses pour l’avenir du pays. C’est lui qui mène la guerre au Yémen contre le chiisme. C’est également lui qui veut mettre en partie Aramco sur le marché, créer le plus grand fonds souverain du monde et promouvoir le travail des jeunes en entreprises. C’est encore lui qui met en avant une vision du développement économique où, en moins d’une génération, l’avenir de l’Arabie Saoudite s’affranchirait de la dépendance pétrolière. Un tel projet suppose entre autres un effort considérable en matière d’éducation, voire une révolution culturelle dont le jeune prince a peut être tendance à sous-estimer l’ampleur. Mais l’essentiel n’est pas là. Il tient dans cette observation que, pour un ensemble de raisons systémiquement liées autour d’un nœud technologique, la planète est probablement à l’aube d’un gigantesque reclassement des Etats ou des nations, préludant à une carte certainement bien différente de celle du monde actuel.
Equilibre des forces et sécurité collective
Le monde qui prend forme restera dominé par les Nations, les Etats et leurs interactions positives et négatives, démultipliées sous l’effet de la technologie. Il sera très différent d’aujourd’hui, mais ne ressemblera pas à celui des rêveurs d’une mondialisation uniforme, où les frontières seraient abolies, où les entreprises auraient définitivement supplanté les gouvernements comme décideurs majeurs des sociétés humaines. Dans ces conditions, les deux concepts éprouvés d’équilibre des forces (Balance of power) et de sécurité collective conserveront leur pertinence, et je continue pour ma part de les tenir pour complémentaires et non mutuellement exclusifs.
L’équilibre des forces et la sécurité collective peuvent s’évaluer au niveau global, dans le cadre – pour le second volet – du système de l’ONU. Mais en pratique le niveau régional est le plus pertinent, malgré les difficultés intrinsèques à la notion de région. Le monde traverse actuellement dans son ensemble une période de haute instabilité, dont l’une des manifestations est l’augmentation massive de la production et des ventes d’armements. Dans ce qui suit, j’aborderai succinctement les cas de l’Asie de l’Est, du Moyen-Orient et de l’Europe.
L’Asie de l’Est
En Asie de l’Est, les principaux acteurs sont la Chine, le Japon, la Corée du Sud et les Etats-Unis. A quoi il faut ajouter la Corée du Nord et, dans une perspective plus large, la Russie et l’Inde. Le phénomène dominant dans cette région est la montée de la Chine, comme dans la seconde moitié du XIXe siècle celle de la Prusse au sein du système européen. Au cours de la période sous revue, on a constaté quelques signes d’apaisement entre les trois premiers Etats mentionnés (relations sino-japonaises, ou encore question des “femmes de confort“ entre le Japon et la Corée) mais on a aussi assisté aux provocations habituelles de Pyongyang, qui n’hésite pas à provoquer Seoul, Washington ou même Pékin. Kim Jong-un sait en effet que la Chine n’a aucun intérêt à un effondrement de son régime, et sa stratégie du faible au fort lui réussit pour le moment.
Un autre développement important est le retour au pouvoir à Taïwan du Parti Démocrate Progressiste – indépendantiste – avec l’élection de Tsai Ing-wen, mais nul n’imagine que cela changera fondamentalement l’équation. La nouvelle présidente est réputée pragmatique et surtout personne n’a actuellement intérêt à la remise en cause du statu quo. Si la réunification avec la Chine demeure un objectif largement partagé, ce ne pourra arriver que dans le cadre de l’avènement d’une démocratie libérale et en tous cas pluraliste sur le continent, une perspective encore lointaine.
En attendant, Pékin poursuit prudemment son ascension et, faute d’un système de sécurité régional inexistant, seule une politique d’équilibre sous la houlette de Washington peut rassurer les voisins proches ou distants de l’Empire du Milieu. D’où la tendance japonaise à la montée en puissance militaire, le renforcement de l’alliance nippo-américaine et la visite de Barack Obama à Hiroshima, ou encore son voyage à Hanoï quatre décennies après une guerre qui a marqué l’histoire du second vingtième siècle. Sans oublier les Philippines ou encore l’Australie.
D’où aussi – et là on en revient à la relation entre économie et politique – la signature du TPP (Partenariat trans-Pacifique) qui vise – sans naturellement que ce soit présenté comme tel – à resserrer l’interdépendance économique entre les membres, dont la Chine est exclue. Mais la partie s’annonce ici délicate, car rien n’assure que ce traité, auquel le premier ministre japonais Shinzo Abe attache une importance considérable, sera ratifié par le Congrès. Tant il est vrai que l’ouverture peut faire peur, même aux Etats-Unis.
Quoiqu’il en soit, le “pivot vers l’Asie“ dont on parle tant outre Atlantique reste un axe stratégique majeur pour la puissance dominante, aussi bien du point de vue politique (lutte pour le maintien de la suprématie) qu’économique (promotion d’une mondialisation américaine). Le jour n’est pas encore venu où l’Europe ne pourra plus éviter de se positionner clairement par rapport à la rivalité entre Washington et Pékin. La question ne se posera que dans le cas d’un conflit ouvert dans la région ou lorsque la perspective d’un dépassement des Etats-Unis par la Chine se précisera, ce qui est encore loin d’être certain. En attendant, l’intérêt des Européens, sur des questions telles que les souverainetés controversées dans les mers de Chine, est de s’en tenir discrètement à la référence au droit international, lequel ne joue d’ailleurs pas en faveur de Pékin.
Le Moyen-Orient
Venons-en au Moyen-Orient au sens restreint, donc à l’exclusion du Maghreb à l’Ouest ou de l’Afghanistan à l’Est. Les principaux acteurs intérieurs à cette région sont la Turquie, l’Iran, l’Egypte et Israël, auxquels il convient d’ajouter l’Arabie Saoudite, moins ancrée dans l’Histoire. Les principaux acteurs extérieurs sont les Etats-Unis, la Russie et à un moindre degré les anciennes puissances coloniales de l’Europe. Dans cette région aussi, point de système de sécurité collective. Point d’équilibre des forces non plus, depuis la disparition de l’Union soviétique et les deux guerres occidentales contre l’Irak de Saddam Hussein, grâce auxquelles l’Iran a réalisé son vieux rêve de s’imposer comme puissance régionale indépendante majeure. Or, l’établissement d’un nouvel équilibre est une condition nécessaire – hélas certainement pas suffisante – pour vaincre le terrorisme islamiste, qui en attendant s’affirme cmome un sous-produit maléfique de la mondialisation.
Malgré toutes ces difficultés, il me semble possible d’entrevoir ce que pourrait être un nouvel équilibre, dans quelques années. Ce qui suit n’est évidemment qu’une hypothèse. D’un côté l’Iran, une partie de la Syrie, de l’Irak ou du Liban ; de l’autre, un sous-ensemble contenant la Turquie, Israël, l’Arabie Saoudite et l’Egypte, sans négliger des acteurs comme la majorité du Liban ou encore la Jordanie.
A l’extérieur, le premier groupe a le soutien de la Russie ; le second, celui des Occidentaux. La reconciliation entre la Turquie et Israël, mais aussi peut-être une attitude d’Ankara plus pragmatique vis-à-vis du président Sissi, comptent parmi les signes avant coureurs de ce nouvel équilibre possible. Equilibre possible, mais nullement certain, car chacun cherche encore à renforcer ses positions. De plus, des surprises comme la tentative de coup d’Etat contre le président Erdogan le 15 juillet 2016 – dont aussi bien les causes que les conséquences ne sont pas claires au moment où j’écris ces lignes -, peuvent toujours se produire dans cette région tourmentée. La reconquête des territoires irakiens et syriens conquis par l’Etat islamique n’est nullement achevée, et elle ne suffira pas à éliminer Daech ni a fortiori ses concurrents, comme Al Qaida. De plus, les modalités politiques d’une reconstruction des pays ravagés par la guerre ne font encore l’objet d’aucun consensus.
Du côté positif, il faut ajouter que nouvel équilibre ne signifie pas nouvelle guerre froide. Le pari majeur de l’accord nucléaire avec l’Iran est que cet Etat peut et doit réintégrer la “communauté internationale“ et ainsi en être considéré comme un membre digne de ce nom au même titre, par exemple, que la Chine. Mais ceci n’effacera pas les rivalités.
Le principe fondamental de l’équilibre des forces répond au bon sens et n’implique aucune exclusion. C’est pourquoi l’amélioration des relations turco-russes est bienvenue, comme doit l’être la meilleure compréhension entre Moscou et Washington sur les enjeux de la région. Quant à l’Europe, la France en particulier, il n’y a nulle contradiction à ce qu’elle contribue à une politique d’équilibre tout en collaborant, typiquement sur des dossiers économiques, avec l’Iran. J’ajouterai que seule une politique d’équilibre éprouvée dans la durée laisserait espérer de déboucher dans un second temps sur un schéma encore plus ambitieux de sécurité collective régionale, englobant un règlement de la question palestinienne et un accord de dénucléarisation définitif. On en est encore bien loin.
A court et moyen terme, l’une des plus grandes difficultés est la viabilité des régimes politiques de certains des Etats concernés : l’Arabie Saoudite, dont j’ai parlé précédemment, l’Egypte et bien d’autres. La démocratie turque paraît bien fragile et l’on pourrait, à son propos aussi, reprendre le thème des rapports entre économie et politique. Pour les pays occidentaux, se pose inévitablement la question des limites de leur coopération avec des régimes autoritaires. Comme souvent en politique et dans la vie, entre divers maux il faut choisir le moindre et il arrive que la préférence pour le court terme ne soit pas injustifiée. On y reviendra à propos de la question des réfugiés en Europe, qui a dominé toute la période sous revue.
L’Europe et l’Afrique
L’Europe est la seule région du monde où les drames du XXe siècle débouchèrent, à l’époque de la guerre froide, sur la combinaison d’un équilibre et d’un système de sécurité collective hautement sophistiqués, l’un et l’autre suffisamment robustes pour permettre d’absorber en douceur un choc aussi considérable et imprévu que la chute de l’URSS.
L’équilibre Est-Ouest, comme on disait alors, reposa sur le contrepoids de l’Alliance atlantique, laquelle était certes tout sauf un monolithe. La sécurité collective avait trois composantes : la Communauté (future Union) européenne, les accords d’Helsinki à partir de 1975, et naturellement au sommet l’Organisation des Nations Unies. L’imbrication entre l’équilibre et la sécurité collective se manifesta par un corpus de plus en plus élaboré d’accords de “maîtrise des armements“ (Arms Control) portant sur des données objectives et précises, assorties de mesures de vérification mais comprenant aussi des dispositifs destinés à établir un minimum de confiance entre les parties concernées (Confidence Building Measures, CBM). L’expérience montre en effet que dans les conflits humains rien n’est plus paralysant et dangereux que la défiance, comme l’illustre tragiquement aujourd’hui à tous les niveaux le Moyen-Orient.
Peut-être la fin de l’Union soviétique aurait-elle pu déboucher à son tour sur une organisation paneuropéenne dans laquelle chacun aurait trouvé sa place. Mais la tendance naturelle qui pousse les plus forts d’un moment à aller jusqu’au bout de leurs avantages, les réflexes conditionnés par une Histoire souvent douloureuse, les illusions de l’idéologie mondialiste, sans doute aussi l’absence de grands hommes d’Etat, tout cela a orienté les choses autrement.
Si l’on peut encore parler d’équilibre – car la Russie de Poutine n’a évidemment pas les moyens de se lancer dans des opérations militaires conventionnelles de grande envergure, contrairement aux capacités que l’on attribuait à l’Union soviétique – il n’en va pas de même pour les institutions de la sécurité collective. Les accords d’Helsinki sont de facto moribonds même si l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) rend encore quelques petits services. L’héritage de l’Arms Control a été dilapidé et la défiance généralisée est revenue au galop. Ne survit que le frêle rempart de l’ONU et, heureusement, la prudence des dirigeants suprêmes. Pire encore, la Communauté devenue Union européenne, généreusement élargie pour accueillir les anciens pays communistes d’Europe de l’Est, semble avoir atteint les limites de ses contradictions.
En attendant qu’on se décide enfin à reconstruire la sécurité européenne au sens large sur des bases solides, intégrant pleinement les menaces en provenance du Moyen-Orient et plus généralement du flanc sud du continent, ainsi que la riche expérience de la guerre froide, le terrorisme islamiste, faute de se heurter à une résistance suffisamment organisée, continuera de sévir. Au cours de la période sous revue, la France a subi deux attaques majeures (le 13 novembre 2015 et le 14 juillet 2016), et la Belgique, le 22 mars 2016. Les Etats-Unis (à Orlando), la Turquie et bien d’autres Etats ont aussi été frappés, notamment en Afrique.
L’Afrique a géopolitiquement vocation à s’affirmer comme le continent en développement complémentaire de l’Europe. Mais si la France continue de contribuer modestement mais réellement à sa sécurité, les principaux Etats européens, anciens rivaux au temps de la colonisation, n’ont jamais cherché sérieusement à s’entendre pour élaborer une politique suffisamment cohérente et robuste dans ce domaine. Pour l’Alliance atlantique, l’Afrique n’est pas une priorité : « La menace à l’est est la plus importante », si l’on en juge par les propos du président de son Comité militaire, le général tchèque Petr Pavel. Le vaste continent africain, insuffisamment organisé par lui-même, reste ouvert à toutes les convoitises d’acteurs plus immédiatement intéressés par l’accès à ses immenses ressources que par la participation à un effort de longue durée afin d’assurer sa stabilité.
A court et moyen terme, alors que le décollage économique de l’Afrique reste une réalité porteuse de grandes espérances, on risque de voir se poursuivre l’implantation de mouvements issus du fondamentalisme islamiste et les actions terroristes. L’une des erreurs stratégiques de la présente décennie a été de provoquer la chute du colonel Kadhafi sans la moindre préparation pour la suite. La Libye est devenue un carrefour opérationnel pour la pénétration du terrorisme islamiste en Afrique et un portail pour les mouvements migratoires. Un gouvernement d’Union nationale a pu être mis en place fin 2015 sous les auspices de l’ONU, avec le soutien des Occidentaux. C’est un résultat fragile, mais encourageant.
En tous cas, si les Occidentaux ont une leçon à tirer de l’histoire du Moyen-Orient au sens large (de l’Afghanistan à l’Afrique du Nord) depuis la chute de l’Union soviétique, c’est que l’on ne joue pas impunément avec les régimes d’autrui. Quand on est conduit à interférer avec les affaires intérieures des autres, les passions domestiques ou l’idéologie ne sont jamais bonnes conseillères. Paris et Londres l’avaient oublié en Libye. Nul ne doute que la France restera plus prudente, par exemple si l’Algérie devait connaître des troubles à la suite du président Bouteflika. Pour l’Europe tout entière et pas seulement pour l’Hexagone, la sécurité de l’Afrique du Nord est plus que jamais une question essentielle, et la condition de base pour toute coopération ambitieuse au développement de l’Afrique dans son ensemble.
L’Union européenne survivra-t-elle ?
La crise de la zone euro n’est pas terminée
Après une année 2014/2015 dominée par la crise de la zone euro et le spectre d’un Grexit, celle qui couvre ce Ramsès a été submergée par l’afflux des réfugiés avant de culminer, le 23 juin 2016, avec le résultat du référendum britannique en faveur de la sortie de l’Union européenne, à une majorité de près de 52%.
Ce n’est pas que la question monétaire puisse être considérée comme réglée. La Banque Centrale Européenne fait son travail, certes dans un environnement international complexe, et l’Union monétaire continue de progresser techniquement. Mais sur le fond, rien n’est vraiment réglé. La gouvernance économique de la zone s’est plutôt distendue. Les accords en demi-teinte avec la Grèce de Tsipras, les pressions populistes en Espagne ou au Portugal, l’approche des élections présidentielles en France, les facilités pour le service des dettes résultant de la pratique généralisée des taux d’intérêt négatifs, mais surtout le surgissement de menaces encore plus urgentes, sont autant de facteurs concourants à expliquer simultanément le relâchement des disciplines et le passage au second plan des affaires économiques et financières dans l’ordre des préoccupations, malgré les cartons jaunes peu crédibles de la Commission européenne. Un effacement temporaire en vérité, car dans ces matières on ne triche pas indéfiniment et l’épreuve de vérité s’imposera tôt ou tard.
Tout se jouera alors entre la France et l’Allemagne, car si les deux principaux fondateurs de la Communauté ne parvenaient pas à s’entendre sur des règles de jeu durables, l’euro ne survivrait pas. Ou plutôt il se réduirait à une sorte de zone mark en Europe du Nord. Ce serait le vrai début d’une décomposition européenne, que précisément le pari ambitieux du traité de Maastricht avait visé à contrecarrer, devant les forces centrifuges d’un élargissement rapide destiné à raccrocher au train occidental une partie de l’Europe de l’Est libérée du communisme.
Le plus grand danger qui pèse aujourd’hui sur l’Union n’est pas l’échec de Schengen – qui est réparable – ou le Brexit, mais le malentendu persistant entre la France et l’Allemagne, la première accusant la seconde de mercantilisme, et la seconde reprochant à la première son incapacité persistante depuis des décennies à accomplir ses réformes structurelles, ce qu’a encore illustré au cours de la période la tragi-comédie de la loi El-Khomri.
Mais les débats de ce genre n’arrivent sur le devant de la scène que sporadiquement, typiquement lorsqu’une bulle se forme et explose – des événements toujours contingents dans leurs détails et surtout dans leur calendrier. La crise grecque est provisoirement retombée, et l’on n’en voit pas d’autre poindre dans l’immédiat, si ce n’est pour des raisons liées aux incertitudes du Brexit. Et comme, dans la psychologie collective, un problème chasse l’autre, les regards aujourd’hui sont orientés dans des directions différentes.
Le tsunami des réfugiés
Nul gouvernement européen n’avait anticipé le scénario d’un afflux de réfugiés, en quelques mois, sans précédents depuis les exodes massifs consécutifs aux deux guerres mondiales du XXe siècle. Comme toujours, il est plus facile d’expliquer les causes fondamentales d’un phénomène mal appréhendé que ses causes immédiates. L’exercice a posteriori est nécessaire pour identifier les remèdes, même s’il peut facilement devenir vain, puisque toute cause identifiée a elle-même des causes et ainsi de suite indéfiniment. L’histoire rétrospective a un grand intérêt intellectuel ou philosophique, mais son usage est délicat s’il s’agit d’éclairer l’action.
La cause évidente d’un afflux aussi massif de réfugiés en Europe est l’extension des guerres au Moyen-Orient au sens large et les catastrophes humanitaires qui l’accompagnent. En raison des valeurs qu’elle incarne et qu’elle est réputée mettre en œuvre, l’Europe – certaines de ses destinations (Grande Bretagne, Allemagne…) plus que d’autres – est source d’espérances pour celles des victimes de ces drames qui ont encore l’énergie et les ressources nécessaires pour entreprendre une périlleuse aventure. Naturellement, cette cause a elle-même ses causes et d’abord : pourquoi ces guerres ? Sans doute à cause des dictatures (Saddam Hussein, Hafez puis Bachar El Assad, Mouammar Kadhafi…), mais pourquoi ces dictatures ? De fil en aiguille on en vient nécessairement à retrouver l’histoire de la région jusqu’au moins la Première Guerre mondiale, à se demander pourquoi les pays occidentaux ont autant soutenu des régimes autoritaires et même dictatoriaux etc. C’est là que l’exercice de l’histoire rétrospective risque de devenir vain, car il est facile de comprendre qu’on en peut tirer aucune conclusion générale, si ce n’est – sans illusions – un conseil de prudence pour les dirigeants futurs, en les incitant à mieux réfléchir avant d’agir.
Prenons donc la situation comme elle est, sans chercher à distribuer bons et mauvais points aux multiples unités actives qu’on pourrait identifier comme conjointement responsables. Je ne me place pas ici du point de vue de la justice pénale internationale, et ne me penche pas davantage sur la difficile question du monde trouble et même criminel des passeurs et autres exploiteurs de la misère humaine.
Le problème politique principal résulte de l’inévitable contradiction entre principes et valeurs d’une part, réalités sur les différents théâtres d’opération de l’autre. Il était par exemple mécaniquement évident que, l’Allemagne étant la destination préférée, l’attitude généreuse d’Angela Merkel ne pouvait qu’accélérer dans un premier temps le flot des réfugiés. Il était évident aussi que ce déversement se heurterait rapidement à des résistances de plus en plus grandes en Allemagne même et créerait des situations critiques dans les Balkans et en Europe centrale, où l’on a une vision différente des valeurs et de l’Histoire. A quoi s’ajoute qu’il en est de Schengen comme de la monnaie unique : on a admis dans la zone euro des pays qui n’auraient jamais dû y entrer, et l’on a rapidement pris des libertés avec les critères de Maastricht ; on a supprimé les frontières intérieures sans mettre sérieusement en place le contrôle de la frontière extérieure de l’Union. Sans doute aussi a-t-on eu une conception trop généreuse de la libre circulation des personnes. L’inspiration des traités était bonne. Leur application ne l’a pas été. D’où l’opinion répandue qu’au lieu de protéger les citoyens, la Commission de Bruxelles s’est perdu dans des préoccupations subalternes.
Si la construction européenne se réduit à l’art de violer allégrement les engagements pris, parfois trop imprudemment, elle ne peut qu’aboutir à un désastre. Dans le cas d’espèce, le problème n’est pas seulement celui des frontières. Il est aussi et surtout une absence totale d’anticipation, aussi grave que d’entrer dans une guerre sans avoir préalablement réfléchi à la manière d’en sortir. Du point de vue européen, le bilan – évidemment très provisoire – de la crise des réfugiés est quadruple : un accroissement des fractures au cœur de l’Union européenne, un arrangement périlleux avec la Turquie pour stopper le flot, la montée des populismes et une contribution au Brexit. Après avoir accueilli près d’un million de réfugiés en quelques mois, l’Allemagne a probablement dépassé sa capacité d’absorption à court terme, mais dépend crucialement d’Ankara pour la suite, dans un contexte d’ensemble où les divergences avec la Turquie restent sensibles, sans parler des complications supplémentaires qui pourraient résulter de la tentative de putsch du 15 juillet.
Pendant la période sous revue, on a pu observer dans les commentaires une confusion trop répandue entre immigrants et réfugiés, avec en toile de fond le déficit démographique de l’Europe qui s’accroît (nombre de naissances inférieures à celui des décès) et ne peut être compensé que par un apport extérieur. L’Allemagne est un des pays les plus frappés par cette insuffisance, et l’on comprend que l’on ait pu être tenté de parler de la vague des derniers mois comme d’une “chance“. La distinction n’en demeure pas moins essentielle entre l’immigration, correspondant à des choix a priori irréversibles longuement mûris des arrivants et le refuge sous l’effet de l’urgence, a priori temporaire. Il peut y avoir des recouvrements entre les deux catégories. Elles n’en sont pas moins politiquement, économiquement et juridiquement différentes et doivent faire l’objet, dans les pays d’accueil, de politiques distinctes. Chacun des Etats membres devrait clarifier les siennes et l’Union européenne dans son ensemble devrait être un lieu de coordination efficace, dans le cadre de principes généraux communs et d’une frontière extérieure digne de ce nom.
Dans les années et décennies à venir, si elle parvient à réparer ses erreurs, l’Union conservera son pouvoir d’attraction dans un environnement où d’autres catastrophes restent possibles sinon certaines, d’ordre géopolitique, économique ou écologique. Les vagues de réfugiés correspondent par nature à des chocs brutaux et l’on ne peut bien y faire face qu’en s’y étant préparé. Cela est vrai aussi de l’immigration, en principe plus prévisible.
Un aspect essentiel de la différence entre immigrants et réfugiés est que les seconds ne quittent leur pays que devant une menace immédiate et vitale. Toute politique dans ce domaine doit donc s’attacher à prévenir les causes, d’où il suit que les Européens devraient consacrer beaucoup d’efforts – séparément et conjointement – au retour du Moyen-Orient à un équilibre, quitte à coopérer avec des régimes qui n’ont pas leurs faveurs. Ainsi le veut la réalité des relations internationales. L’Union européenne devrait aussi considérer qu’une participation mieux organisée au développement de son voisinage, en particulier africain, est une priorité de son action extérieure – ici encore séparément et conjointement – action qui ne peut avoir véritablement de sens qu’avec des efforts patiemment soutenus sur une longue durée.
Le Brexit et ses conséquences
Comme si la crise grecque et le choc des réfugiés ne suffisaient pas, un troisième coup de massue est venu frapper l’Union européenne à la tête avec le scrutin du 23 juin 2016. « Le génie du référendum est sorti de la bouteille », comme l’a dit aussitôt le chancelier de l’échiquier George Osborne. Début avril, déjà, le lanterneau européen avait été tétanisé par le “non“ au référendum néerlandais sur l’accord d’association entre l’Union et l’Ukraine. Jusqu’à la dernière minute, les pro-européens ont voulu croire au succès du Remain et, au vu des résultats, en Grande-Bretagne même, les partisans du Brexit ont semblé déboussolés par leur succès, au point que leurs leaders les plus en vue comme Boris Johnson et Nigel Farage se sont aussitôt retrouvés cloués au sol. Le premier a finalement été nommé ministre des Affaires étrangères et l’on se demande pour combien de temps…
Essayons d’y voir un peu plus clair. Et d’abord, fallait-il un référendum dans un Etat où cette pratique n’a jamais eu de réalité constitutionnelle ? Non sans raisons, on a accusé David Cameron de jouer l’avenir de la Grande-Bretagne à la roulette russe, pour préserver les intérêts de son parti et surtout les siens. Il avait procédé de la même façon en septembre 2014 avec l’Ecosse, et gagné. En 2016, il a perdu, et initié ainsi une longue période d’incertitude pendant laquelle l’unité du pays pourrait se trouver à nouveau menacée. L’Histoire jugera le Premier ministre sortant, selon le cours qu’elle prendra. Plus importante à court terme est la question du référendum en tant que tel. Il est rapidement apparu que l’article 50 du Traité de Lisbonne sera effectivement mis en œuvre quoique personne ne sache dans quel cadre juridique. Theresa May, qui a très vite été désignée pour succéder à David Cameron – alors qu’on redoutait un vide politique de plusieurs mois – incarne le juste milieu puisque, eurosceptique, elle était néanmoins restée fort discrète pendant la campagne référendaire.
Dès lors, il est vraisemblable que les Britanniques vont tout faire pour garder un pied dedans et un pied dehors, selon des modalités qui seront certainement longues à définir (deux ans paraît un minimum) et pourraient préfigurer une Union reconstruite sur un modèle de cercles concentriques. Certains y avaient déjà songé au lendemain de la chute du communisme pour éviter le risque d’un élargissement trop rapide. En France, François Mitterrand avait imaginé une vaste confédération autour de la Communauté. Mais les nouveaux venus exigeaient tout, tout de suite. Un tel modèle, s’il pouvait être mis en place, résoudrait potentiellement bien des problèmes, puisqu’à l’image du système solaire on pourrait imaginer des orbites de plus en plus éloignées avec une périphérie, pourquoi pas, où même la Turquie pourrait un jour trouver une place. Et rien n’empêcherait en principe un pays de passer d’une orbite à une autre plus rapprochée… ou plus éloignée !
L’Union remise en cause ?
Plusieurs raisons permettent de croire possible ce genre de reconfiguration, à la condition essentielle, cependant, que le système ait un noyau dur, ce qui renvoie à la relation franco-allemande. Il y a d’abord le fait qu’à l’issue d’une campagne sordide, beaucoup d’électeurs favorables au Brexit se sont sentis victimes des mensonges éhontés de politiciens comme Farage ou Johnson. Il y a aussi l’immense embarras des vainqueurs et les millions de signatures en faveur d’un nouveau référendum. Il y a encore et peut-être surtout l’évidence que le résultat a été une victoire des vieux contre les jeunes.
Les partis populistes du continent ne s’y sont pas trompés, car après avoir comme Marine Le Pen exulté de joie, ils se sont rapidement calmés. Les Etats membres récalcitrants comme la Hongrie ou la Pologne ont ressenti eux aussi la nécessité de la prudence, même si Viktor Orban a décidé un référendum sur la question moins périlleuse des quotas de réfugiés. Ainsi, le risque d’un effet domino – le retrait de la Grande-Bretagne entrainant d’autres sorties dans son sillage – n’a certes pas disparu, mais il a diminué alors qu’on craignait l’inverse. Le résultat du référendum britannique a d’ailleurs eu immédiatement l’effet de renforcer Mariano Rajoy en Espagne, aux dépens de Podemos et de ses alliés. En revanche, la question de l’effet du choc du 23 juin sur les mouvements séparatistes, en Ecosse ou par contagion en Catalogne par exemple, reste largement ouverte. A défaut de l’indépendance formelle, l’Ecosse pourra-t-elle trouver une place qui lui soit propre au sein de l’UE ? Voilà qui nourrira bien des débats.
Cela étant, et quoiqu’on puisse dire sur les aléas de la méthode référendaire, il ne faut pas sous-estimer le degré de scepticisme vis-à-vis de l’Union européenne telle qu’elle est devenue, non seulement en Grande-Bretagne mais sur l’ensemble de son territoire. Les réactions au Brexit, la prolifération des propositions de réformes, laissent espérer que ce scepticisme n’est pas un rejet radical, mais plutôt un appel à une révision générale. Si cette analyse est exacte, le scrutin du 23 juin sera peut être interprété plus tard comme un salutaire coup de pied dans la fourmilière, et le point de départ d’un nouveau cycle positif.
Il est peu de dire que le système institutionnel de l’Union est illisible pour le commun des mortels. La Commission, initialement conçue pour incarner les intérêts communautaires au-dessus des Etats membres, est aujourd’hui perçue comme l’assemblée de leurs représentants choisis selon des motifs politiciens, chacun des commissaires ayant pour des raisons obscures autorité sur une administration dépourvue de légitimité. La légitimité du Parlement européen est insignifiante par rapport à celle des Parlements nationaux, et beaucoup ont l’impression que toute cette machinerie, sur laquelle le Conseil européen a peu de prise, dicte sa volonté aux Etats membres, voire pompe leur substantifique moelle. Pour couronner le tout, les milliers de personnes qui vivent de la machinerie sont considérés comme des privilégiés, dont la rémunération et autres avantages jugés exorbitants ne sont même pas soumis à l’impôt. La toute récente polémique sur les activités privées de José Manuel Barroso et d’autres anciens commissaires reflète un profond malaise.
Pareille image est une représentation déformée de la réalité, mais elle en retient quelques traits et, comme chacun sait, en politique les perceptions comptent davantage que la vérité. Il n’est que trop facile, alors, de rendre “Bruxelles“ – et les inconnus qui gouvernent le système – responsables de tous les maux, et de faire croire aux peuples que tout irait mieux si seulement chacun pouvait récupérer sa liberté d’action, par exemple en laissant filer la monnaie redevenue nationale et en tablant sur les dévaluations. Ce n’est qu’illusion, mais aussi longtemps que les citoyens européens ne pourront pas mieux comprendre qui fait quoi, comment et pourquoi, le débat sur la légitimité de l’Union perdurera.
Il ne fait guère de doute que c’est l’hyper élargissement post soviétique qui a fait dérailler le système et l’on peut juger paradoxal que certains des nouveaux venus de l’Est soient parmi les plus virulents pour le critiquer. Certains vont parfois jusqu’à établir un parallèle entre le « Bruxelles » d’aujourd’hui et le « Moscou » du temps de l’URSS. Dans leur imaginaire, les Etats-Unis comptent plus pour assurer leur avenir que les Européens de l’Ouest, lesquels n’ont à leurs yeux fait après 1991 que réparer un peu leurs torts dans les lâchages de l’entre-deux-guerres.
Avec tout cela, on peut se demander si le rejet du Brexit n’aurait pas été une victoire illusoire, qui n’aurait finalement qu’amplifié les frustrations, alors qu’avec le 23 juin, il est possible qu’après tout chacun ait mieux compris la valeur de l’Union européenne. Qui peut en effet imaginer dans un monde plus interdépendant que jamais comment le retour à un continent du chacun pour soi, de monnaies concurrentielles, d’alliances de revers, pourrait améliorer la sécurité et la condition matérielle des Européens ? Il ne s’agit donc pas de tourner le dos à la belle idée communautaire, née au lendemain de la Première Guerre mondiale et mise en œuvre seulement à partir des années 1950, mais d’améliorer et d’adapter l’existant pour mieux surmonter les épreuves communes, d’ordre sécuritaire ou économique, en faisant aussi en sorte que les citoyens se sentent toujours en démocratie. Espérons que le choc du 23 juin aura permis aux Européens de prendre conscience qu’il ne faut pas se précipiter et rejeter le bébé avec l’eau du bain.
L’Union européenne survivra-t-elle ? Oui, mais à condition de toujours s’adapter, et nul ne peut prédire à quoi elle ressemblera quand le bébé d’à peine soixante ans sera devenu adulte. C’est une affaire de plusieurs générations.
Et la mondialisation ?
Elle doit être raisonnable
Le rêve de la mondialisation heureuse se dissipe donc, mais la mondialisation n’est pas morte. Si cela devait arriver, avec un retour en force des rideaux de fer, de béton ou de barbelés, électroniques aussi, ce serait un grand bond en arrière à l’échelle planétaire, avec en prime le spectre d’une vraie troisième guerre mondiale, bien au-delà des conflits actuels. La bonne nouvelle est qu’aucun des acteurs majeurs de la scène internationale n’a jusqu’ici adopté des comportements qui rendraient un tel scénario plausible ou même possible à l’horizon prévisible. La mauvaise est que la “communauté internationale“ – si l’on entend par là non pas l’assemblage hétéroclite des membres de l’ONU, mais l’ensemble des Etats les plus motivés par le maintien d’un système international raisonnablement ouvert – ne s’est toujours pas résolue à s’organiser sérieusement à cette fin, malgré quelques succès comme le plus récemment en matière de coordination fiscale. Aucun de ces Etats n’est vraiment disposé à réduire sa liberté d’action au nom du bien commun.
Bien avant qu’on ne parle de mondialisation pour qualifier l’intensification de l’interdépendance due à la révolution continue des technologies de l’information et de la communication, on savait que le libre échange des biens et des services, par exemple, fait des gagnants et des perdants. Il suffit d’ouvrir n’importe quel manuel d’économie internationale pour le comprendre. Cela est vrai aussi bien entre les pays pris comme des touts, qu’à l’intérieur de chacun d’eux. A la longue, les perdants ou certains d’entre eux essaient inévitablement de réagir et peuvent être tentés de se révolter. Leur indignation est exacerbée par les dysfonctionnements comme l’argent facile ou la corruption aux multiples visages. D’où, notamment, le succès universel, ces dernières années, des ouvrages sur le thème des inégalités. Les éditeurs américains du livre de Thomas Piketty lui ont donné un titre choc : Capital, comme un coup de poing de Karl Marx. Le maintien d’un monde raisonnablement ouvert suppose que les gagnants se préoccupent des perdants, et élaborent avec eux des mécanismes de compensation, pour que chacun finisse par y trouver son compte.
J’utilise l’adverbe “raisonnablement“ pour signifier d’une part que l’ouverture indéfinie ne doit pas être poursuivie dogmatiquement, mais de façon pragmatique et réaliste, donc sans perdre de vue ce que les résistances peuvent avoir de justifié, comme dans certains pays pour protéger des activités culturelles ou agricoles, ou encore certains centres de décision économique. Une limite également évidente à l’excès d’ouverture est la perte de contrôle des frontières, comme en Europe avec la crise des réfugiés et, plus déstabilisant encore, avec la montée du terrorisme islamiste. D’une manière générale, l’ouverture non maîtrisée fait le jeu du populisme, qu’en effet on voit actuellement fleurir en Europe mais aussi dans bien d’autres pays où il menace les bases même de la démocratie.
Le populisme
Le populisme a plusieurs visages, parmi lesquels toujours le rejet des élites, accusées d’utiliser leur position dominante pour promouvoir conjointement leurs intérêts particuliers aux dépens des peuples. Martin Wolf, le célèbre éditorialiste du Financial Times, n’a pas hésité à titrer sa chronique du 27 janvier 2016 : Global super elite have opened the door to populism. Or le FT, comme on l’appelle, a la réputation d’incarner cette super-élite, dont une partie des patrons du capitalisme mondial constitue le noyau dur. Des présidents populistes ont été élus au Guatemala, aux Philippines et ailleurs. Je ne reviens pas sur la bassesse et les mensonges de la campagne des partisans du Brexit.
Plus inquiétant encore, peut-être, est le succès de Donald Trump qui a pulvérisé tous ses rivaux dans la compétition des primaires du Parti républicain, dont la crise déjà ancienne semble avoir atteint son acmé. Du côté démocrate, Hilary Clinton a fini par l’emporter – de haute lutte – contre Bernie Sanders, mais sa victoire laisse un goût amer pour une grande partie de l’électorat, en particulier chez ceux qui voteront pour elle le 8 novembre à seule fin de barrer la route à l’empereur de l’immobilier. C’est que Hilary et Bill ont fini par incarner le mélange des genres au sein du grand establishment, de cette super-élite dont parle Martin Wolf. L’image de House of Cards n’est pas très loin. A 74 ans et paraissant davantage, c’est Bernie qui faisait figure des jeunes. C’est lui que les jeunes ont acclamé. La discipline l’a emporté chez les démocrates, et au moment où ces lignes sont écrites, la super-élite croit pouvoir se rassurer : sauf accident, pense-t-elle, Hilary Clinton accédera à la Maison Blanche ; elle sera la première présidente des Etats-Unis d’Amérique. Elle n’inspire pas confiance à une partie de la population américaine, mais son profil centriste rassure les establishments, à l’intérieur comme à l’extérieur. Elle n’est pas aimée mais, entend-on souvent dire, ce défaut n’en est pas nécessairement un pour un homme d’Etat, même s’il s’agit d’une femme. Une chose ne lui aura en tout cas pas manqué : l’expérience des coups.
Pour une gouvernance raisonnable, mais réelle
Il faudra en effet de l’expérience pour lutter en faveur d’un monde raisonnablement ouvert. Car il n’y a point d’ouverture durable sans tolérance mutuelle entre les parties concernées, c’est-à-dire une acceptation des différences, qu’il s’agisse de religion, de culture ou de régime politique. L’hétérogénéité, sur laquelle je mets l’accent depuis des années dans ces Perspectives, est une caractéristique du système international insoluble dans la technologie, qui impose des concessions de la part de tous ceux qui préfèrent vivre ensemble plutôt que séparément. Ici encore, on doit parler de tolérance raisonnable, car il y a toujours des limites à l’acceptation des différences, et une coexistence durable ne suppose pas seulement une bonne gestion de la proximité mais aussi de la distance. Cette remarque est importante et nous ramène naturellement à des sujets comme l’immigration et les réfugiés.
Le maintien d’un monde raisonnablement ouvert suppose aussi une organisation plus structurée des institutions de la gouvernance, puisqu’aucun pays ne peut prétendre seul décider pour les autres. A une échelle réduite, l’exemple de la zone euro et spécialement les divergences franco-allemandes sur ce sujet, montrent à quel point la gestion de l’interdépendance peut être difficile. Paradoxalement, on pourrait croire plus aisé de s’entendre sur une question de nature globale comme le climat, et ceux qui ont célébré l’accord de Paris à l’issue de la COP 21 en décembre 2015 ont eu raison de se réjouir. Encore faut-il rester lucide. Entre cet accord et sa mise en œuvre, a fortiori les bénéfices attendus, que d’obstacles à surmonter ! Qui oserait sérieusement prétendre que le succès est acquis ?
En réalité, les institutions de la gouvernance mondiale restent grossièrement inadaptées au degré d’interdépendance déjà atteint de nos sociétés, et le sentiment d’impuissance qui en résulte contribue à nourrir le populisme. Ce qui est déjà vrai dans une certaine mesure à l’échelle de l’Europe l’est encore plus à l’échelle planétaire. Dans ces conditions, mieux vaut dans un premier temps restreindre les ambitions de la mondialisation et s’employer à augmenter celles de la gouvernance, que d’ergoter indéfiniment autour des idéologies opposées de la globalisation sans limites ou d’un souverainisme tout aussi illusoire.
La question du maintien d’un monde raisonnablement ouvert porte sur toutes les dimensions des échanges entre les unités actives de la planète et sur toutes celles de la politique. On aurait tort de croire que la réponse va de soi. La montée en puissance des travaux sur la géo-économie dans les universités ou dans les think–tanks est un signe des temps. Il s’agit de l’idée que les leviers de la politique économique sont potentiellement autant d’instruments de conduite de la guerre, par d’autres moyens. Pareille idée, parfaitement sensée dans son principe, est diamétralement opposée à la vieille approche libérale selon laquelle le commerce au sens large est source de paix et de prospérité. Le succès d’une mondialisation raisonnable n’est pas davantage acquis que celui de la COP et ne pourra l’être qu’au prix d’un long apprentissage, auquel tous les Etats de la planète intéressés au bien commun doivent se prêter. Ce sera sans doute l’un des enjeux de la prochaine présidence aux Etats-Unis, mais surtout à l’échelle de la réorganisation de l’Europe post-Brexit. La ruine de l’espérance européenne serait un drame planétaire.