La voix française, seule voix européenne

Par François d’Orcival, Valeurs Actuelles le 4 mars 2018

Avec des voisins ankylosés par leurs crises internes, la France a une chance de prendre le leadership en Europe. Et de pouvoir agir en Orient.

Avec des voisins ankylosés par leurs crises internes, la France a une chance de prendre le leadership en Europe. Et de pouvoir agir en Orient. Le ministre des Affaires étrangères, ancien ministre de la Défense, était à Moscou mardi, il sera à Téhéran lundi ; le président de la République, chef des armées, était attendu à Mourmelon ce jeudi, sur le plus grand champ de manoeuvre de l’armée de terre…

La France sait profiter d’une situation où elle peut montrer qu’elle est là. Qu’elle peut agir. Qu’elle a le temps pour elle. Quand tous ses voisins sont empêtrés par leurs crises internes : le Royaume-Uni et sa négociation interminable sur le Brexit ; l’Espagne et son impasse catalane ; l’Allemagne et sa longue séquence électorale éprouvante pour la chancelière ; et maintenant l’Italie ! Que sortira-t-il des élections de ce 4 mars ?

Pendant ce temps, l’Orient entre dans sa huitième année de guerre en Syrie. Et qui décide qu’il y aura ou non cessez-le-feu sur place ? Une seule puissance, une seule autorité, Vladimir Poutine, qui va être réélu le 18 mars pour un nouveau mandat de président de la Russie. Jusqu’en septembre 2013, il n’était qu’un spectateur au Proche-Orient. L’indécision de Barack Obama l’a fait entrer dans le jeu et deux ans plus tard, en septembre 2015, il faisait débarquer ses forces spéciales, ses blindés, ses avions, ses missiles, en Syrie. Il a sauvé Assad qui lui doit tout, Baalbek, Alep, Damas, et n’a d’autre choix que de lui obéir. Voilà pourquoi Jean-Yves Le Drian est allé à Moscou. Pour y parler “cash”, comme on dit : pour y faire entendre la seule voix européenne du moment, la voix française.

En diplomatie comme en politique, on ne peut aboutir que si l’intérêt de l’un rencontre celui de l’autre. En Orient, il fallait d’abord nettoyer militairement le terrorisme islamiste de Dae’ch, l’ennemi de tous. Le principal est fait, les séquelles demeurent. Le djihadisme s’est répandu ailleurs, au Sahel où nous sommes, et chez nous en Europe. Il faut maintenant stabiliser la situation en Orient où l’on se fait un peu partout la guerre. La Russie est entendue en Turquie, en Iran, en Égypte ; elle a rétabli une relation de confiance avec Israël. Ça tombe bien, la France aussi, qui a ses entrées à Beyrouth, au Caire, à Riyad, à Abou Dhabi. Quant à Téhéran, Le Drian doit y préparer la première visite d’un chef de l’État français depuis Georges Pompidou.

La France et la Russie ont donc des intérêts communs.

Thierry de Montbrial, le président de l’Institut français de relations internationales, montre dans son très riche et dernier essai (Vivre le temps des troubles, Albin Michel) que Paris et Moscou devraient en tirer parti. « Si l’Europe et la Russie, écrit-il, ne parviennent pas dans un laps de temps raisonnable à trouver un terrain d’entente solide, l’une et l’autre risquent de se trouver réduites à l’état d’objet dans la grande compétition engagée entre les États-Unis et la Chine pour la domination du continent eurasiatique. » Quand Montbrial écrit Europe, il vise la France, désormais seule puissance d’entraînement de l’Union européenne, laquelle ne s’est constituée que face à la menace soviétique d’hier et devrait se redresser face à la menace islamiste d’aujourd’hui.

Or il existe des caractères essentiels à toute diplomatie forte. Montbrial en retient notamment un : le retour de la primauté des États. Et à travers eux, celui de l’identité. Si la puissance des États-Unis s’impose à ce point, malgré une présidence aussi erratique que celle de Donald Trump, c’est parce que l’identité de l’Amérique ne se discute pas. Alors que celle de la France est « quelque peu lézardée »…

« Un pays dont l’identité est durablement et gravement fracturée, insiste Montbrial, peut difficilement mener une politique étrangère forte », parce que tout « projet géopolitique est étroitement lié au sentiment identitaire ». Décidément, la question de l’identité domine tout, au-dedans comme au-dehors.

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