Thierry de Montbrial a fait de l’Ifri Le 2ème think tank le plus influent du monde
Entretien paru dans Forbes le 5 octobre 2020. Propos recueillis par Philippe Branche
L’Institut Français des Relations Internationales (IFRI). 4 lettres pour le 2ème think tank le plus influent au monde selon le classement de l’Université de Pennsylvanie qui référence plus de 6800 instituts. Comment expliquer un tel succès ? Un homme, Thierry de Montbrial, travaille diligemment depuis plus de 40 ans à la réussite de l’institut qui fait rayonner la pensée géopolitique française dans le monde. Retour pour Forbes France avec Thierry de Montbrial sur les ressorts d’influence de l’IFRI.
L’Institut Français des Relations Internationales – un « réservoir de pensée » à la française
L’IFRI fait plus que des idées à partir d’idées. « Il faut tout d’abord faire une distinction entre l’idée et la pensée. Les génies sont dans leur vie père d’une idée, voire de trois comme pour Einstein. La pensée est à l’opposé un processus, un travail de synthèse dans un cadre spatio-temporel donné. ». L’institut orchestre en effet des combinaisons de recherches mûries, réfléchies et pondérées afin de dévoiler un aspect de la réalité. Le mot idée en français comme en chinois (意见– YiJian) trouve d’ailleurs la même racine étymologique : dans les deux langues, le mot idée se rapporte à voir – (du grec « idein » voir et du chinois « 见-Jian- qui veut aussi dire voir). L’IFRI offre donc aux décideurs une vision du monde « weltanschaung » afin « de présenter autant que possible le monde tel qu’il est », indique le Président. Lorsque le Ministre des Affaires Etrangères chinois Wang Yi passe à Paris fin aout, il intervient aussi à l’IFRI pour donner une conférence, preuve que la réputation de l’institut n’est plus à faire. Toujours calme, affable et réactif, le président maîtrise parfaitement ses sujets, son institution et ses idées qui sont légion : « Nous voulons continuer à croître. Mais la nature de cette croissance doit elle aussi être organisée afin d’en assurer la pérennité.»
Ministre des Affaires Etrangères chinois Wang Yi à l’IFRI – Copyright : ©IFRI
De l’Oikonomia de l’IFRI
L’IFRI est un institut indépendant, fondamentalement non-partisan et au service de l’intérêt général. L’indépendance se définit tout d’abord, selon les mots du Président, « comme avoir suffisamment de dépendances afin qu’aucune ne soit prédominante. » Les 7 millions d’euros de budget annuel trouvent ainsi une origine variée :
Ce financement diversifié, couplé à des provisions budgétaires à un horizon supérieur à un an, permet d’échapper aux influences partisanes. Chaque année, l’IFRI connaît par ailleurs un double contrôle : de commissaires aux comptes mais aussi de la Cour des Comptes.
L’IFRI est enfin une association 1901 qui répond de l’intérêt général. Ancien polytechnicien, Thierry de Montbrial fut d’abord reconnu pour ses travaux mathématiques. L’intérêt général peut se définir non pas comme la somme des intérêts individuels parfois contradictoires mais comme son intégrale. L’indicateur de la variable par laquelle on intègre dx représentant l’intérêt commun. L’IFRI, par son action reconnue d’utilité publique et sa gestion indépendante et rationnelle pourrait ainsi inspirer de nombreuses entreprises.
L’Institut Français des Relations Internationales ne pense pas seul
L’IFRI ne pense en effet pas seul. En tant que telles, les idées ne peuvent pas faire l’objet d’une protection, seule la forme sous laquelle elles sont exprimées relève de la propriété intellectuelle. L’institut a ainsi su tisser d’étroites relations avec d’autres think tanks : de la RAND Corporation ou encore the Brookings Institution (dont les revenus sont plus de 17 fois supérieurs), en passant par le CSIS, la Carnegie Endowment ou encore la French-Korean Foundation. Ainsi circule la pensée qui s’enrichit lors de voyages entre les différents instituts. Mais chaque think tank a son propre mode de fonctionnement.
Quelle serait alors la principale différence entre la direction d’un think tank aux États-Unis et en France ? Thierry de Montbrial, qui a étudié à l’Université de Berkeley, nous répond. « Comme le soulignait déjà Tocqueville, aux États-Unis, la différence principale est que le non-profit provient du privé. En France, la subvention de l’État est à l’opposé un gage d’indépendance et non de subordination. Mais nous savons aussi faire appel aux dons afin d’acquérir par exemple il y a 25 ans nos locaux du 27 rue de la Procession dans le 15ème.
Thomas Gomart (Directeur) et Thierry de Montbrial (Président) – Copyright : ©chrispeus.com
Les Pensées géopolitiques de Thierry de Montbrial
En un temps où l’esprit de coopération au niveau international est au plus bas, le Président analyse : « Les années à venir vont être dominées par les relations sino-américaines et la position des différents acteurs. Il y a un intérêt énorme à avoir un point de vue autre qu’américain. Les Coréens, Japonais et même les Chinois valorisent nos recherches car notre regard est différent et indépendant. » Une synthèse des analyses peut être retrouvée dans le rapport RAMSÈS, une publication annuelle de l’IFRI qui fait autorité.
Comme l’ancien Président du Conseil des ministres italien Enrico Letta, Thierry de Montbrial est profondément européen : « Je suis de ceux qui croient à l’importance de l’Union européenne. Elle est en train de démontrer une fois de plus sa capacité à progresser — certes dans la douleur — à l’occasion de chaque crise majeure. L’Union Européenne est le seul laboratoire vivant d’une gouvernance internationale digne de ce nom qui nous permette d’espérer que démocratie et efficacité fassent bon ménage dans la longue durée. »
« Le succès est la cohérence avec soi-même »
Thierry de Montbrial a fait de sa vie le miroir de ses pensées. « Le vrai succès est en nous. Tout ce qu’on cherche dans la vie, on l’a en quelque sorte préalablement trouvé. C’est une idée que l’on trouve chez Platon, Leibniz, Heidegger mais aussi dans le Christianisme, le Bouddhisme et le Taoïsme. Il s’agit de prendre progressivement conscience de l’unité profonde de nos actions afin d’en trouver les bases épistémologiques. Prenons un physicien : il ne s’attache pas a priori aux questions philosophiques. Mais les plus grands scientifiques, à la fin de leur carrière, ont eu besoin de mettre un ordre philosophique dans leurs travaux. Aujourd’hui, je commence enfin à comprendre plus profondément ce que j’ai entrepris. ». Hasard ou nécessité, le mot « géopolitique » en chinois (地缘 – DiYuan) contient le caractère de la destinée (缘 – Yuan).
L’IFRI n’est finalement pas un think tank comme les autres mais un des meilleurs. Meilleur au sens du mathématicien Pierre de Fermat : un minimum de causes pour un maximum d’effet. Son fondateur est de ceux qui agissent en homme de pensée et pensent en homme d’action — un polymathe sachant aussi bien naviguer avec les chiffres, les lettres et les hommes. « À ceux qui voudraient donner des leçons de démocratie : les meilleures sont à donner chez soi. », conclut le Président. C’est une belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble.
Entretien réalisé par Philippe Branche Lire l’interview sur Forbes.fr