« Vivre le temps des troubles », des clés pour un monde chaotique
Critique du livre par Jean-Christophe Ploquin, La Croix, le 18 décembre 2017
CRITIQUE DE LIVRE. Thierry de Montbrial décrit avec maestria les chocs provoqués par le progrès scientifique et la révolution numérique sur les États et les sociétés. Et il exhorte l’Europe à montrer le chemin d’une nouvelle gouvernance mondiale
« Vivre le temps des troubles » de Thierry de Montbrial, Albin Michel, 2017, 170 pages, 15 €
Il faut avoir le cœur bien accroché pour observer la transformation accélérée du monde. Dans le domaine scientifique, les découvertes fondamentales du XX° siècle – théories de la relativité, mécanique quantique, double hélice de l’ADN… – et leurs développements n’ont pas fini de brouiller les repères traditionnels. Dans le domaine des technologies, la maîtrise du couple énergie-matière, le développement infini du numérique, la révolution de l’intelligence artificielle ont de quoi donner le tournis.
Les innovations bousculent l’économie et le rapport de l’homme à la machine, au robot, à lui-même. Les États sont contestés dans leur rôle protecteur et les individus, consommateurs et citoyens, oscillent avec ambivalence face au changement. Certaines sociétés font de la résistance, provoquant de nouvelles tensions internationales.
Des phrases simples et ciselées qui relèvent parfois de la méditation
Ancien professeur à l’École Polytechnique et président de l’Institut français des relations internationales (Ifri) depuis bientôt 40 ans, Thierry de Montbrial est sans doute l’un des meilleurs guides à suivre et à lire pour prendre la mesure de ce désordre.
Son essai traduit un grand souci de pédagogie. Ses phrases simples et ciselées relèvent parfois de la méditation, lucide et sans affect. Il pointe notamment les limites de la science pour définir correctement la vie et celles de la technologie pour reproduire l’irréductible de l’homme : sa conscience et son âme. Il souligne le rôle des religions comme cadre de relation à la transcendance, aspiration profondément humaine.
L’espoir que les hommes reprennent les rênes de ce monde fragmenté
Réaliste dans l’analyse des relations internationales, Thierry de Montbrial défend néanmoins des projets à la limite de l’utopie dans l’espoir que les hommes reprennent les rênes de ce monde fragmenté.
Il recommande l’émergence d’un réseau de puissances moyennes qui coopéreraient à une nouvelle gouvernance mondiale. Et il attend de la construction européenne qu’elle soit le laboratoire d’un nouveau type d’unité et de solidarité politiques.
Jean-Christophe Ploquin