L’intérêt national
Communication à l’Académie des Sciences Morales et Politiques le 4 février 2019
Résumé de la communication dans la lettre d’information de l’Académie des sciences morales et politiques n°707 du 5 février 2019 :
Le propos est parti du postulat selon lequel, « au moins à court terme, la politique étrangère d’un pays se construit autour des intérêts de ses ressortissants, de ses valeurs et de ses alliances ». Or, à rebours d’une longue tradition inaugurée par Richelieu et portée en particulier au XXe siècle par le général de Gaulle, l’intérêt national est victime en France, depuis une dizaine d’années, d’une « étrange ellipse ». Certes, les présidents continuent de se référer à des « intérêts vitaux », mais ils ont tendance à les confondre plus ou moins avec le statut de puissance nucléaire. Les autres dimensions de l’intérêt national sont tues, dissoutes dans la notion plus vague d’influence globale, quand elles ne sont pas niées. Ce glissement a été moins voulu que subi. Il traduit la subordination croissante, dans la plupart des démocraties, de la politique étrangère aux enjeux de politique intérieure et à la pression de l’opinion publique, spectaculairement accentuée par la révolution numérique. Mais il reflète aussi une crise plus générale de la diplomatie française dans un environnement stratégique dégradé, sans qu’elle parvienne à se dégager du modèle gaullien, qu’incarnait encore en 2003 son opposition victorieuse et vaine à une intervention militaire en Irak sous l’égide des Nations unies.
Face à ce constat, une refondation de la politique extérieure française s’impose, autour d’une conception renouvelée de l’intérêt national. Loin de se limiter aux seules sphères économiques ou stratégiques, celui-ci doit être appréhendé comme un « bien public », en tant que sa définition requiert l’engagement de toutes les forces de la nation : « Nous devons savoir qui nous sommes, avant de pouvoir savoir quels sont nos intérêts » (S. Huntington). Il n’est donc pas incompatible avec des valeurs, du moment qu’il ne verse pas dans un universalisme abstrait, inefficace voire dangereux. Bien compris, il amène au contraire à « porter intérêt aux intérêts des autres ». Relisant Machiavel, Th. de Montbrial voit également dans l’intérêt national un instrument de contrôle des pulsions et des passions, parmi les gouvernants aussi bien que dans les peuples.
Le propos s’est conclu par la formulation de quelques orientations opérationnelles, qui combinent la réaffirmation de règles diplomatiques traditionnelles (réciprocité en matière de négociation, sélectivité des priorités, respect du secret) et l’exploration de nouvelles formes d’interactions, sur le modèle de la COP21, autour d’objectifs communs atteignables. À une « souveraineté solitaire », consacrée à la défense d’intérêts nationaux étroitement conçus, Th. de Montbrial oppose une « souveraineté solidaire », seule apte à répondre, sur le long terme, aux grands défis contemporains.