Installation à l‘Académie des Sciences d’Outre-Mer
Installation à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer le 8 avril 2022
Voici les deux discours prononcés à l’occasion de mon installation le 8 avril 2022 à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, dans la section 3 au siège de Philippe Hugon.
Discours de M. Hubert Loiseleur des Longchamps
Monsieur le Secrétaire perpétuel, chères consœurs, chers confrères, chers invités, cher Monsieur le Président, cher Thierry,
« L’homme d’action part d’une vision, en déduit des objectifs, une stratégie pour les atteindre, et l’exécute », avez-vous écrit le 4 février 1979 dans votre journal intitulé « Une goutte d’eau dans l’océan ». Cette phrase pourrait assez bien décrire la détermination que vous mettez à accomplir vos intuitions.
Vous êtes un bâtisseur, et votre domaine d’excellence est l’un des plus difficiles qui soit, car vous réalisez des constructions humaines. Pourtant, votre formation initiale semblait prendre initialement une tour plus souterrain et minéralogique. Elève particulièrement brillant et précoce, vous réussissez le concours d’entrée à l’école Polytechnique, en sortez dans les tout premiers, et intégrez l’Ecole Nationale des Mines de Paris, avant d’être nommé ingénieur au très prestigieux corps des mines. Première inflexion visible dans votre itinéraire, vous obtenez en 1971 un doctorat en économie mathématique à l’université de Californie à Berkeley, sous la direction du prix Nobel d’économie 1983, Gérard Debreu.
L’économie est l’un des nombreux domaines que vous avez approfondis et l’une de vos passions. Vous la considérez comme la plus avancée des sciences de l’action, et vous en avez transformé l’enseignement à l’Ecole Polytechnique, animant une équipe que vous avez présidée pendant dix-huit ans. Sous l’impulsion de Jean Ullmo, qui a joué un rôle important dans votre carrière, vous avez ainsi contribué à placer l’économie au niveau des disciplines scientifiques traditionnellement enseignées à Polytechnique, comme les mathématiques, la physique, la chimie ou la mécanique. Ce département d’économie accueillera des économistes parmi les plus réputés, dont Jean Tirole, futur prix Nobel d’économie en 2014.
Vous êtes nommé en 1971 chargé de mission au Commissariat général du Plan, où vos travaux portent sur l’économie internationale, les questions de prévisions, la méthodologie de la planification et la pertinence des grands modèles économétriques.
En 1973 Michel Jobert, ministre des affaires étrangères, vous charge de mettre en place le tout nouveau Centre d’analyse et de prévision. Vous prenez exemple sur le fameux Policy Planning Staff, pointe de la recherche de la diplomatie américaine au département d’Etat, créé après la guerre par le général Marshall. Vous observez alors que cet organisme procède de la même démarche que les think tanks, en faisant la synthèse des approches inspirées des sciences de la nature, de l’histoire et des sciences humaines pour éclairer le couple pensée-action, qui constitue le fil d’Ariane de vos travaux.
Vous devenez ainsi, à trente ans, le premier dirigeant du CAP dont vous avez bâti les fondations, qui se sont révélées solides et durables. C’est votre véritable entrée dans ce que vous qualifiez de « diplomatie intellectuelle », et qui vous conduira à nouer des relations avec les dirigeants politiques de très nombreux pays. Vous serez invité à devenir membre du prestigieux Club Bilderberg puis de la commission trilatérale, et vous entamez une noria incessante de déplacements autour du monde, établissant de multiples contacts professionnels et amicaux.
En 1975, André Giraud, alors président du conseil d’administration de l’Ecole polytechnique, vous charge de présider la commission de la Montagne sainte-Geneviève, dont la mission est de préfigurer un Institut des Sciences de l’action qui doit s’installer dans les locaux laissés vacants par Polytechnique.
Cet institut ne verra pas le jour, mais sa gestation vous permettra d’élaborer une approche nouvelle cherchant systématiquement à mettre en rapport des experts de disciplines différentes, afin d’éviter l’excessive spécialisation et le généralisme diffus que vous redoutez tout autant. Votre ambition, que vous n’avez cessé d’incarner, est d’établir une rencontre entre tradition scientifique et tradition humaniste dont vous déplorez l’écart qui trop souvent les sépare.
Vous jugez que la pensée française est alors sous-équipée dans le domaine des relations internationales. La recherche est dispersée et de taille réduite. Il n’y a, dans les années soixante-dix, aucun équivalent aux grandes institutions américaines ou britanniques. Votre conviction est faite, il faut en France une organisation analogue à celles qui existent dans le monde anglo-saxon. En 1979, vous créez l’IFRI, premier institut français de recherche et de débat sur les relations internationales. Il a été récemment classé par l’Université de Pennsylvanie deuxième think tank mondial le plus influent (Etats-Unis inclus) et le premier hors Etats-Unis, en particulier en Europe. Ce magnifique et durable succès est le vôtre.
Tous ici connaissent et admirent l’Institut que vous présidez. Mais qui connait vraiment son histoire ? Elle est décrite dans une somme de près de 800 pages, rédigée par Sabine Jansen et publiée en 2017 : « Les boîtes à idée de Marianne ». Elle y décrit la « réinterprétation nationale du modèle anglo-saxon des think tanks », comme le dit Georges-Henri Soutou dans l’introduction de cet ouvrage. L’IFRI n’a pas été créé ex nihilo, mais il a succédé au Centre d’études de politique étrangère, fondé en 1935. Grâce aux archives du Centre, Sabine Jansen a pu reconstituer en détails et de manière documentée son histoire, ainsi que le processus de création de l’IFRI, son développement, les obstacles qu’il a surmontés et son succès sans cesse à reconstruire.
Cette étude particulièrement approfondie, qui a bénéficié d’un accès exclusif aux sources humaines et documentaires au sein de l’IFRI, ne dissimule rien des efforts considérables déployés lors de sa genèse, des difficultés rencontrées pour faire prendre la greffe sur l’ancienne souche, des conflits parfois très personnalisés pour assoir le développement du nouvel organisme, et des solutions négociées par son créateur pour résoudre les crises de croissance de l’Institut.
Tout est dit sur l’architecture et la construction de ce nouvel édifice, original dans le paysage national : la constitution des équipes, la mobilisation des ressources financières, le bon usage du soutien de l’Etat, le déploiement des travaux de recherche, la relation établie avec les partenaires, en particulier l’aménagement dans l’actuel siège de l’IFRI, avec l’aide de plusieurs entreprises obtenue grâce à vos démarches fructueuses, la fabrication du célèbre rapport annuel « Ramsès », dont sa traditionnelle introduction rédigée par vos soins constitue une chronique de la vie internationale sans équivalent depuis plus de quarante ans. Toutes ces « perspectives » sont rassemblées dans « Histoire de mon temps », publié par l’Académie roumaine en 2018 et qui se trouve, grâce à son auteur, dans notre bibliothèque.
J’invite ceux d’entre nous qui s’intéressent à cet objet très sophistiqué qu’est aujourd’hui un think tank à consulter cet ouvrage ainsi que la très instructive communication du président de l’IFRI à l’Académie des sciences morales et politiques, le 28 février 2011, dont une version révisée est incluse dans « La pensée et l’action », publié par l’Académie roumaine en 2015 (également dans notre bibliothèque).
Vous ne vous reposez pas pour autant sur vos lauriers. Vous déployez votre énergie dans de nombreuses activités : établissement de liens privilégiés avec la Roumanie, travaux éditoriaux dans de prestigieuses revues françaises, présidence de conseils d’administration ou d’organismes internationaux, membre de conseils consultatifs, écriture de nombreux ouvrages traitant d’économie, de questions scientifiques et internationales, tout en poursuivant vos activités d’enseignement à Polytechnique, au Conservatoire des arts et métiers, à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et dans de nombreuses universités étrangères.
En 1992, vous êtes élu à l’Académie des sciences morales et politiques, avec un record d’âge dont le plus récent titulaire était Jacques Rueff, à 48 ans. Vous exercerez la fonction de président de cette académie, conjointement avec celle de l’Institut de France, en 2001.
Votre expérience des relations internationales vous convainc progressivement qu’il n’y a pas de problème plus important pour la stabilité du système international que celui de la gouvernance mondiale. Vous créez alors la World Policy Conference (WPC) dont la première édition se déroule à Evian du 5 au 8 octobre 2008, quelques jours après la faillite de Lehman Brothers, alors que la crise financière se développe rapidement. Votre projet consiste à rassembler chaque année, autour de dirigeants de la planète, divers acteurs de la vie collective pour faire émerger des idées et des solutions novatrices. Cette première édition accueillera le président Sarkozy et le président russe Medvedev. Cette initiative se révèle être un nouveau succès, la WPC se réunissant tous les ans, sauf lors de la crise sanitaire. La quinzième édition se tiendra en décembre prochain à Abu Dhabi consacrant, s’il était nécessaire, vos qualités d’organisateur hors pair.
Votre curiosité insatiable – Maurice Allais, autre prix Nobel d’économie, parlait de « votre grande curiosité et de votre vaste culture » – vous conduit à vous intéresser à de très nombreuses questions. Et lorsque vous traitez un sujet, vous l’étudiez en profondeur : vous lisez toute la littérature le concernant, vous interrogez les maîtres, vous recherchez de nouvelles voies de compréhension ou des pistes de progrès, en combinant des transpositions venant d’autres origines, fidèle à cette méthode empruntée à l’innovation. La notion de complexité vous attire, vous poussez l’approche scientifique dans ses retranchements, quitte à reconnaître que l’aboutissement puisse ne pas être satisfaisant. Vous fuyez l’imprécision, l’approximation et le notions galvaudées. Chacun se souvient des définitions qui ont introduit la communication que vous avez prononcée le 21 mai 2021 ici même, relevant la signification de mots tels que : géopolitique ou relations internationales.
La géométrie vous inspire, vous affirmez que vous en faites « pour vous distraire ». Vos écrits font souvent référence à la forme du « triangle » : regarder, écouter, sentir ; passé, présent, avenir ; le bien, le vrai, le beau ; la logique, l’esthétique, la morale ; la science, l’idéologie, la gouvernance. Peut-être une référence au rythme ternaire cher au général de Gaulle ? Ou bien à la dialectique hégélienne ? D’ailleurs, ne rejoignez-vous pas le sens de l’histoire donné par le philosophe, qui voyait dans les crises que traverse le monde la source d’un progrès nouveau pour l’humanité ? Mais vous ne vous contentez pas de percer le mystère du sens de l’histoire, vous voulez l’infléchir, par vos analyses argumentées, les conseils et recommandations que vous proposez aux dirigeants politiques et économiques, en favorisant des rencontres entre les acteurs de la vie internationale, avec toute l’attention et le respect que vous portez à vos interlocuteurs, sans complaisance ni mondanité.
Vous dites ne pas être un philosophe, mais vous êtes familier de tous les âges de la philosophie, de Platon et Aristote à Bergson et aux philosophes contemporains, tel Levinas ou Jürgen Habermas, en passant par Pascal, Kant, Husserl et Bergson. Vous avez une prédilection toute particulière pour Leibniz, qui pourrait être l’un de vos modèles, esprit d’une culture immense, mathématicien et philosophe, historien et théologien, dont vous avez transposé les travaux sur le temps aux domaines contemporains de l’économie. La dualité du temps dans sa durée – le chronos grec – et du kairos – le moment, est un sujet sur lequel vous avez beaucoup écrit. Leibniz était aussi le père d’une Théodicée qui tentait de répondre à la question du mal en proposant que Dieu n’avait pas créé un monde parfait, mais le meilleur des mondes possibles.
Cette question du mal – inextricable du bien selon vous -, guère éloignée de la vision thomiste, est évoquée dans votre « Journal en quête de sens », « Une goutte d’eau dans l’océan », que je citais au début de mon propos. Le titre de ce journal est emprunté à Mère Teresa : « Nous pensons que ce que nous faisons n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Mais il manquerait quelque chose à l’océan sans cette goutte ». Vous n’avez pas cité cette phrase par hasard. Elle renvoie à la question religieuse que vous continuez d’explorer dans toutes ses expressions métaphysiques et symboliques. Vous conversez avec les représentants de toutes les croyances, en explorant le bouddhisme, l’hindouisme, et en franchissant des frontières jusqu’à l’ésotérisme, voire l’astrologie ou la divination. Votre curiosité est décidément sans limite, mais elle n’est jamais vaine ni superficielle. Votre questionnement du monde est sincère, car vous cherchez à comprendre quels sont les ressorts profonds de vos interlocuteurs.
Vos succès personnels et professionnels, marqués par votre précocité, la rapidité de votre ascension et la variété de vos centres d’intérêt, ont parfois été critiqués voire contestés. Pour citer un aphorisme de votre épouse, « plus le singe est haut, plus il montre son derrière », vous vous exposez car vous voulez aboutir. Vos ambitions dérangent parfois, et il vous faut savoir encaisser les coups et souvent les rendre. Vous avez connu des périodes difficiles, vous n’en faites pas mystère, mais vous conservez cette élégance et cette distanciation qui vous permettent de poursuivre vos objectifs.
Vos mérites et le rayonnement de vos travaux et initiatives sont reconnus : vous êtes titulaires de très nombreuses décorations étrangères et nationales, vous avez été élevé il y a deux ans à la dignité de grand officier de la Légion d’honneur. Vous êtes membre de onze académies, et votre participation aux débats, présentations, commentaires est recherchée en France et à l’étranger. Les institutions internationales, politiques, académiques, universitaires, économiques, vous sollicitent et vous vous appliquez dans chacune de ces occasions, à personnaliser vos communications, après avoir étudié de manière approfondie le contexte dans lequel vous intervenez.
Ma présentation ne serait pas complète, elle court de toute manière le risque de l’être, je le crains ! si je ne mentionnais pas votre goût pour la littérature. Votre propre bureau en témoigne, habité d’une population innombrable d’ouvrages, que vous lisez partout et tout le temps, et à travers lesquels il faut se faufiler comme dans une descenderie de pyramide. Bien entendu, il vous faut commenter les auteurs que vous fréquentez, donner votre point de vue, généralement enthousiaste, parfois critique, et enchaîner aussitôt sur des développements empruntés à des domaines inattendus auxquels l’auteur n’aurait sans doute pas pensé.
Vos « Vagabondages autour de Proust » en sont certainement un excellent exemple. Ce texte a été rédigé à partir d’une préface à une traduction de « A la recherche du temps perdu » qui vous a été demandée par l’Académie roumaine en 2011. Vous décelez dans l’œuvre de Proust une dimension cosmique qui vous entraine vers des spéculations sur les hypervolumes et les univers parallèles, pour développer ensuite une leçon de mécanique quantique, vous permettant de rappeler que l’œuvre de Proust est écrite au moment où le temple de la physique classique s’effondre. Proust aurait sûrement aimé discuter avec vous des états de la conscience et du phénomène de la mémoire (les madeleines) dont vous décrivez les trois formes, en faisant appel à Jacqueline de Romilly.
En somme, vous incarnez parfaitement cette combinaison de pensée et d’action qui constitue le guide de votre vie. Vous y réussissez brillamment, en donnant à vos interventions et écrits un souffle qui stimule vos auditeurs et interlocuteurs, les incite eux-mêmes à l’action et à cet optimisme qui est l’expression de la volonté d’échapper au fatalisme et au déterminisme. Vous croyez au destin, en vous appropriant cette maxime d’Ignace de Loyola : « Agir comme si tout dépendait de moi, mais je sais que tout dépend de lui ».
Cher Monsieur le Président, Cher Thierry, notre compagnie se réjouit et s’honore de vous accueillir dans ses rangs. Votre contribution manquait à cette Académie, cette lacune est désormais comblée. Notre Académie vous est d’ores et déjà redevable, car l’IFRI été parmi les tout premiers donateurs dans le cadre du centenaire, facilitant ainsi la publication de notre livre-anniversaire. Nous vous exprimons notre reconnaissance, et nous serons heureux de pouvoir bénéficier de vos communications sur les grandes questions internationales, mais aussi sur bien d’autres sujets, ainsi que de vos conseils sur l’évolution de notre Académie.
Discours de Thierry de Montbrial
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire perpétuel, chères consœurs, chers confrères, Madame Monique Hugon, Mesdames, Messieurs,
Nous commémorons cette année le centième anniversaire de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, née sous le nom d’Académie des Sciences coloniales. Le premier chapitre du bel ouvrage Penser le monde de demain publié sous la direction de Dominique Barjot et Hubert Loiseleur des Longchamps en retrace fort bien la genèse. Être installé dans votre compagnie à un moment symbolique où, pour mieux s’interroger sur son avenir, elle doit aussi retrouver ses racines, ne me laisse pas indifférent. La France doit en effet assumer son passé colonial, par rapport auquel tant l’attitude scientifique que le bon sens commande de porter un regard équilibré. Comme pour tous les phénomènes complexes, l’explication de la colonisation ne se laisse enfermer dans aucune « théorie » entendue comme système d’idées clos sur lui-même ; autrement dit dans aucune idéologie, apologie de la mission civilisatrice ou théorie marxiste-léniniste de l’impérialisme.
Philippe Hugon, dont il me revient aujourd’hui de faire l’éloge, avait bien compris les implications de la complexité, au point d’en faire, implicitement, la clé de sa méthode. Il a laissé de belles pages sur la colonisation, notamment dans ses Mémoires. J’en cite de brefs passages à titre d’exemple : « Phénomène complexe situé historiquement, la colonisation ne peut faire l’objet de jugements subjectifs « positifs » ou « négatifs ». Elle n’est, ni une époque heureuse que regrettent les nostalgiques de l’Empire, ni le mal absolu que l’intelligentsia a dénoncé, même si elle portait atteinte à la dignité de l’homme, à sa liberté et traduisait, soit un racisme de l’homme blanc devant civiliser, soit un paternalisme visant à éduquer des enfants. » Ou encore : « Les termes de pacification, de mise en valeur, d’éducation permettent de décrire la colonisation comme une entreprise humanitaire et de modernisation de vieilles sociétés primitives. » Ou encore : « Dans les colonies, à côté d’avancées en termes de suppression de l’esclavage, d’amélioration des infrastructures, de scolarisation ou de santé, les coûts humains ont été souvent considérables (un cadavre par mètre de construction du CFCO, chemin de fer de Congo) sans parler des troupes coloniales, chair à canon pour les guerres mondiales mais également dans les guerres coloniales entre puissances européennes. » Ou encore : « Il y a eu souvent colonisation des esprits, dépossession de leur histoire et « viol de l’imaginaire » (Aminata Traoré) des colonisés. »[1]
Le débat sur la colonisation concerne l’Académie des Sciences d’Outre-Mer au premier chef à cause de ses propres racines, mais aussi du point de vue de l’avenir, parce que la solidarité de destin naturelle entre l’Europe et l’Afrique ne pourra vraiment porter ses fruits face aux nouvelles rivalités Ouest-Est (par quoi j’inclus la Chine, mais plus généralement l’Asie) que si, des deux côtés de la Méditerranée, on se montre capable de surmonter les passions négatives et d’éviter leur instrumentalisation politique.
C’est la conviction de l’importance de cet enjeu qui, pour moi, donne un sens à mon entrée dans votre compagnie. Je me permet d’ajouter un complément plus personnel. Dans mon jeune âge, alors même que mes centres d’intérêt fondamentaux étaient ailleurs, je fus plongé si j’ose dire dans la pensée de l’Outre-Mer. Mon grand-père paternel, qui est mort avant ma naissance, était administrateur des colonies. Ainsi mon père est-il né à Hanoï en 1912. En pleine guerre d’Indochine (1952) il passa un an à Saïgon pour exercer les fonctions de contrôleur général de l’Institut d’émission des Etats associés du Cambodge, du Laos et du Vietnam. L’Institut d’émission, c’est-à-dire la Banque centrale. Quelques décennies plus tard, j’y ai retrouvé sa trace. Il se trouve par ailleurs que, du côté de ma mère, j’avais un grand oncle, Eugène Guernier (1882-1973), qui fut membre de votre compagnie et en était très fier. Il avait été un proche collaborateur du Maréchal Lyautey au Maroc et a laissé de nombreux ouvrages, parmi lesquels, en 1950, La Berbérie, l’Islam et la France. Permettez-moi de vous citer les premières lignes d’une communication qu’il fit devant nos anciens le 16 mai 1958, intitulée L’Eurafrique et la communauté européenne : « Lorsque, en 1927, fort déjà de vingt ans d’expérience africaine, je formulais, pour la première fois, le terme d’Eurafrique et, lorsque, en 1933, j’écrivais mon premier ouvrage L’Afrique, champ d’expansion de l’Europe, je n’obtins pas, en France, une grande audience. Mais, en Europe, deux pays comprirent l’intérêt de ma thèse, l’Allemagne et la Pologne […]. Encouragé par cette attitude, fortifié par 30 années d’expérience, je me lançais dans une longue étude des positions réciproques de l’Europe et de l’Afrique et je formulais en 1936 ma thèse des faisceaux économiques qui donne à l’Eurafrique tout son sens et toute sa force. »
Ainsi le modèle proprement géopolitique de l’Eurafrique (géopolitique : idéologie relative aux territoires) et de ce que certains appellent aujourd’hui les quartiers de mandarine est-il ancien. Quoiqu’il en soit de ces souvenirs, je crois qu’Européens et Africains devraient travailler ensemble, en surmontant comme je l’ai dit les traumatismes et les manipulations héritées de la période coloniale, pour examiner en profondeur les conditions de la pertinence, au XXIe siècle, d’un schéma géopolitique toujours vivant de l’Eurafrique.
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En 1973, année de la mort de mon grand-oncle, fut aussi celle de la création du Centre d’Analyse et de Prévision (aujourd’hui CAPS) au Quai d’Orsay, dont je fus le premier directeur jusqu’en 1979. Parmi les sujets dont j’eus alors à m’occuper, il y eut les conséquences du quadruplement des prix du pétrole et la mise en place d’une Conférence sur la Coopération Economique Internationale (CCEI) voulue par Valéry Giscard d’Estaing, qui me donna l’occasion d’échapper un peu à l’emprise des questions Est-Ouest, en particulier de stratégie nucléaire, qui nous occupaient beaucoup, trop peut-être. C’est alors que je connus deux anciens de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer, dont il me plait de saluer la mémoire aujourd’hui. Le premier est Maurice Ulrich, directeur de cabinet des ministres des Affaires étrangères Jean Sauvanargues puis Louis de Guiringaud, entre 1974 et 1978, un des plus grands serviteurs de l’Etat de sa génération. Il a beaucoup fait pour consolider le tout jeune CAP et, par la suite, s’est beaucoup intéressé à l’Ifri. Je salue sa fille Christine Desouches et son compagnon Robert Dossou ici présents, tous deux membres de notre compagnie. Je tenais aussi à mentionner Guy Georgy, alors directeur des Affaires africaines et malgaches, auquel je dois mes premières lueurs sur le continent africain. Sa connaissance encyclopédique de l’ethnographie du continent m’a fortement impressionné et je me suis délecté de son enseignement exclusif. C’est à la même époque que j’ai fait mes premiers pas en Afrique subsaharienne : à Abidjan, dans le cadre du Club de Rome, sous les auspices de Maurice Guernier, fils d’Eugène ; et à Dakar pour y rencontrer in situ Leopold Senghor dont la personnalité m’avait profondément touché.
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Mesdames et Messieurs, la tradition académique fait qu’on peut succéder à une personnalité dont on ne connaissait rien. Et il arrive qu’en préparant l’éloge qu’il convient de prononcer au moment du passage du flambeau, on se découvre comme une affinité outre-tombe, une solidarité, voire une sorte d’amitié. Voilà ce que j’ai ressenti en préparant ce discours et c’est la raison pour laquelle j’ai choisi de lui donner un tour un peu plus personnel que de coutume.
Deux fois, depuis ma prise de parole, j’ai employé le mot solidarité. Ce mot s’accorde bien à la personnalité de Philippe Hugon, qui se définissait comme un « croyant agnostique » tout en vénérant l’approche chrétienne de la charité ou de l’amour (agapè) dont la solidarité est un aspect essentiel. Mais le sentiment de la solidarité n’est nullement incompatible avec celui de solitude, dont mon prédécesseur, qui avait la tête philosophique, n’était pas moins pénétré, ce en quoi on peut aussi voir un aspect de son agnosticisme, ou de l’insuffisance de sa foi. En exergue à ses Mémoires, il cite Camus (dans L’exil et le Royaume) : « Jonas avait seulement écrit, en très petits caractères, un mot qu’on pouvait déchiffrer, mais dont on ne savait s’il fallait y lire solitaire ou solidaire. » De là ses Mémoires solidaires et solitaires, rédigés, nous dit-il, pour ses petits-enfants mais qui en fait s’adressent à un public beaucoup plus large, comme une bouteille à la mer. Je vous en recommande la lecture, tant elle est riche. Ce livre a été publié en 2013, et complété cinq ans plus tard sous forme d’un opuscule, rédigé peu avant sa mort qu’il savait prochaine. Je remercie son épouse Monique de m’en avoir offert un exemplaire.
Philippe Hugon est né le 5 mai 1939 d’une famille bourgeoise à Paris. Fils de bourgeois, donc bourgeois, mais le contraire d’un salaud. Ici, évidemment, je fais référence à Sartre par opposition à Camus. Camus, auquel le tribunal du temps accorde actuellement un net avantage. Si j’ai bien compris Philippe à travers les lignes, il éprouvait ce sentiment de révolte qu’un être humain digne de ce nom ne peut pas ne pas ressentir face aux grandes injustices. Mais il se refusait à croire que la révolution et donc la violence soit la voie du remède. Toute son œuvre, comme économiste du développement, plus spécifiquement comme spécialiste de l’Afrique, montre que pour lui, sur le plan collectif, la lutte contre les injustices passe par la compréhension non dogmatique des sociétés en cause et, dans l’action, par l’esprit de réforme. C’est ainsi que je comprends son attachement à l’idée que l’économie est une science morale et politique, ce à quoi en tant que membre d’une académie éponyme je ne peux qu’applaudir. En même temps, il n’avait pas la naïveté de penser que les êtres humains aient le pouvoir de changer la condition humaine. Il ne lui serait sans doute jamais venu à l’esprit de prétendre percer le mystère du bien et du mal.
Au départ, son itinéraire n’est pas celui d’un homme immédiatement marqué par une vocation. Ses études furent solides, mais point celles d’un polard, avec une combinaison – qui convenait bien à sa personnalité – entre la faculté de droit et des sciences économiques et Sciences Po (section service public). Ceci, tout en pratiquant le théâtre et le chant, et c’est dans ce contexte qu’il rencontra Monique, l’amour de sa vie. Et dans leur vie de couple, l’exercice de passions partagées n’a cessé de tenir une place de choix. Les distractions, au sens quasi pascalien de ce terme, expliquent certainement que Philippe Hugon ait échoué au concours d’entrée à l’ENA et à sa première tentative pour l’agrégation des sciences économiques en 1968 (il se rattrapa deux ans après). S’il avait été reçu à l’ENA, sa carrière aurait pris un tour différent même si on peut imaginer que les problèmes du développement y auraient trouvé leur place. Mais le destin a choisi pour lui la voie universitaire plus directe, en l’incitant à se porter volontaire du service national au Cameroun (1963-1965) puis, après trois années comme maître-assistant à Paris I (1966-1969), en l’envoyant pour 5 ans en coopération à Tananarive (1969-1974). Incidemment, il y aurait beaucoup à dire sur la pratique française de le coopération, mais c’est une autre histoire.
C’est peu dire que ses expériences africaines et malgaches ont joué un rôle important dans sa vie et je me limiterai ici à évoquer ce que je crois avoir compris de la maturation qui l’a conduit à devenir ce qu’il était, ou plus prosaïquement ce qu’il fut : un maître dans le domaine de l’économie du développement en général, de l’économie africaine en particulier.
Du point de vue de l’enseignement de l’économie en France, Philippe Hugon appartenait à une génération d’agrégés en un temps où l’étoile des humanistes pluridisciplinaires – souvent, il faut le dire, un peu verbeux comme François Perroux – palissait au profit des ingénieurs économistes, des macroéconomistes et plus généralement des économistes mathématiciens, le plus souvent polytechniciens ou normaliens. Et de fait, dans cette querelle d’alors entre les anciens et les modernes, les modernes ne tardèrent pas à l’emporter. J’en parle en connaissance de cause, puisque je fus l’un des introducteurs de l’économie mathématique en France et à ce titre, en 1973, élu professeur titulaire à l’Ecole polytechnique dont j’ai dirigé le département des sciences économiques pendant 18 ans. Philippe Hugon, comme bien de ses collègues, s’est à juste titre indigné contre la dérive scientiste chez beaucoup de ces modernes – depuis lors devenus des anciens -, insuffisamment cultivés et qui ne comprenaient pas que dans toute son ampleur, l’économie se situe dans l’ordre de la complexité. De par sa nature même elle ne peut se laisser enfermer dans aucune théorisation à prétention systématique. Face à un problème concret bien défini, le jugement de l’économiste ne peut que s’inspirer d’une batterie de modèles, certains étrangers à l’économie, laissant à l’intuition sa juste place. La question de la valeur, celle de l’éthique, occupent toujours un rôle central. En dehors des cas les plus simples comme dans l’impératif catégorique kantien, l’éthique ressortit toujours à la complexité. En tout cela, Philippe Hugon voyait juste et il faut lui en rendre hommage. Il n’en reste pas moins que, du point de vue de la précision des concepts et de leur développement, la théorie économique dite pure et sa mathématisation sont indispensables et il n’y a lieu de se plaindre que de ses abus. Du point de vue du développement de la science, l’économie appliquée et la théorie entretiennent une relation dialectique qui perdurera.
Heureusement, Philippe Hugon ne s’est pas laissé prendre dans de vains combats, et son œuvre manifeste une remarquable compréhension de concepts économiques dont pourtant la clarification au fil des générations a toujours été liée à l’effort de formulation mathématique. Ainsi en est-il de concepts liés de bien public, bien collectif, ou bien commun sur lesquels il a beaucoup écrit, en mettant à juste titre en évidence le lien qu’ils entretiennent avec les notions politiques de gouvernance, de règles (dans une perspective talmudique on parlerait de la Loi), de légitimité. L’un des mérites de son approche est de montrer – sans tomber dans le relativisme radical – que chaque groupe humain a sa ou ses façons de résoudre ses problèmes de biens communs. Dans le même ordre de préoccupations, il maîtrisait fort bien les idées sur la planification en vogue dans les années 1960 et 1970, mais il voyait clairement le mauvais usage qu’on pouvait en faire faute d’appréhender la complexité en tant que telle.
Ces remarques me conduisent à dire quelques mots sur la notion de terrain, centrale dans la vie académique de Philippe Hugon. Dans ses recherches au Cameroun puis à Tananarive, il a appris qu’il n’est pas possible d’analyser purement abstraitement les problèmes concrets – pas plus qu’un mathématicien ne peut inventer les lois de la physique – et qu’à leur sujet les concepts ne valent qu’incarnés. Ainsi, dans ses travaux de jeunesse, a-t-il longuement travaillé sur l’économie informelle, dont l’importance reste considérable dans le monde actuel. On ne peut pas analyser l’économie informelle sans la situer dans son cadre ethnologique ou anthropologique naturel et donc sans élargir le spectre des disciplines à mettre en jeu. De même ne saurait-on comprendre la réalité du fonctionnement politique de bien des pays en s’en tenant au seul formalisme de sa constitution, ou aux seuls écarts supposés par rapport à elle.
A côté de l’importance de la connaissance du terrain, il faut souligner le rôle des voyages, pour quiconque prétend s’intéresser au monde. Chacun connaît l’importance des voyageurs dans l’histoire de la géographie par exemple. Une bonne partie des Mémoires de Philippe Hugon est consacrée à d’intéressantes notices sur les nombreux pays qu’il a visités plus ou moins profondément. Mais, pour un regard préparé, bien des choses peuvent être saisies même en un clin d’œil. L’intuition, entendue comme capacité de faire très vite une synthèse pertinente à partir de nombreux points de vue, est essentielle dans l’action comme dans l’art ou dans la découverte scientifique. Sans intuition, point de création. Point d’accès à la complexité.
C’est en 1974 que Monique et Philippe Hugon sont rentrés en France, cette fois pour de bon. Pendant trois décennies, c’est-à-dire jusqu’à sa retraite administrative en 2005, Philippe exerça son activité universitaire comme professeur à Paris X Nanterre, où il connut de grandes satisfactions avec les meilleurs de ses étudiants, mais aussi des déceptions face à la paupérisation de l’université, ou à la difficulté de diriger des travaux collectifs, en raison des egos ou des frustrations de certains chercheurs, particulièrement en sciences sociales. Pour ma part, il m’arrive de penser à cette remarque d’un collègue américain : managing researchers is like herding cats. Il n’est pas facile de constituer un troupeau de chats. Sans parler de l’invidia, dont souvent souffrent les personnalités hors du commun. Sur ce point, il faut lire l’avant dernière sourate du Coran, dans laquelle le croyant demande à Dieu de le protéger de l’envie : non pas celle qu’il peut éprouver à l’égard des autres, mais celle des autres à son égard et dont il peut être victime.
A côté de son activité d’enseignant et de directeur de recherches, le grand professeur qu’est devenu Philippe Hugon a produit une œuvre d’ampleur, avec une trentaine de livres sur l’économie du développement, l’économie politique internationale ou encore sur l’Afrique, ainsi qu’une centaine d’articles dans des revues spécialisées, dont au moins un dans la revue Politique étrangère de l’Ifri (n°2, 2003), sous le titre Le NEPAD entre partenariat et gestion des conflits.
A partir de 2005 et jusqu’en 2011, le label de directeur de recherche à l’IRIS lui permit de sortir de l’ombre, conformément à l’astucieux business modèle de cette organisation. A ce sujet, il écrit dans ses Mémoires : « Je suis en fait devenu quasiment le journaliste que je rêvais d’être dans mon adolescence, aux dépens évidemment d’une recherche théorique et d’une démarche plus scientifique. Mais je pense que je peux me le permettre. De toute façon, je suis devenu obsolète vis-à-vis de la « scientificité » actuelle de l’économie instrumentale où à 40 ans on est vite dépassé. » Et un peu plus loin, cette remarque touchante : « Mais je dois avouer que passer à la télé a un côté parfois un peu grisant par les séances de maquillage, généralement le charme des présentatrices, les discussions sur le plateau. Je me déplace en taxi ce dont je n’ai jamais eu l’habitude. » (op. cit., p. 110) C’est en 2011 qu’il fut élu à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.
Avant de conclure, je voudrais attirer l’attention sur deux de ses ouvrages qui ont connu un grand succès notamment auprès des étudiants. Le premier, L’économie de l’Afrique, dont la première édition date de 1993, parce qu’il me paraît exemplaire du point de vue de l’analyse de la complexité, dont j’ai fait un fil directeur pour mon propos. Philippe Hugon y manifeste sa maîtrise des différentes théories et des concepts qui leur sont associés, et ne se laisse envahir par aucune. Il a le sens des données pertinentes. Le contraire d’un idéologue, il n’en manifeste pas moins sa constante préoccupation du bien commun. L’autre livre porte le titre, accrocheur en termes de marketing, Géopolitique de l’Afrique. Sa première édition date de 2006. Il l’a rédigé dans l’enthousiasme de son partenariat avec l’IRIS. Il y définit la géopolitique comme l’étude de l’influence des forces géographiques sur la politique ou plus largement, ajoute-t-il, comme « l’étude des forces à l’œuvre dans le champ politique ». Avec cette conception, on part de la géographie politique (laquelle englobe en fait la géopolitique qui, de mon point de vue, n’est que l’idéologie relative aux territoires) pour aboutir à l’étude de la mécanique générale des rapports de force, sujet qu’il traite avec originalité, mais qui n’est pas vraiment de la géopolitique.
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Philippe Hugon est mort le 20 avril 2018. Ses Mémoires révèlent une interrogation permanente sur la condition humaine, et même sur le problème de Dieu. Pour terminer, je citerai quelques passages de son ultima verba, rédigé comme je l’ai dit au début de ce discours quelques semaines avant sa mort. Il se réclame du christianisme, tout en confessant humblement : « En définitive, mes pratiques sont contradictoires. Je crois au message d’Amour mais connais mes limites et ne peux le vivre au quotidien avec totale plénitude, solidarité et universalité. Je suis devenu avec le temps moins « pratiquant » tout en sachant que je suis membre d’une église et que je dois approfondir les enseignements des messages du Christ et de l’Eglise ». Un peu plus loin, on lit : « Le référent de la laïcité sépare justement la cité des hommes de celle de Dieu mais ne donne pas pour autant sens aux interrogations métaphysiques de la cité des hommes. » Toujours obsédé par les conséquences de la complexité, il s’afflige de ses propres contradictions apparentes, à propos des drames des réfugiés et des migrants, selon qu’il se met dans la peau de l’économiste, de l’analyste politique ou du chrétien. Il se dit toujours croyant agnostique, mais il garde l’espérance dans un « espace de lumière qui s’ouvre au-dedans de nous » (Maurice Zundel). Et d’ajouter : « Je vis ma fin de vie avec relative sérénité, présence des êtres chers, émotions de la musique et lectures enrichissantes ; je n’ai pas de crainte de la mort considérant que j’ai fait mon temps, mais je suis triste de quitter des êtres chers et inquiet quant à leur futur ; j’espère durant mon temps sur terre ne pas avoir été trop éloigné du message de l’agapè christique. »
J’aurais pu m’arrêter là, avec ces paroles magnifiques, mais nous sommes à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, et non dans une église. C’est pourquoi j’ajouterai une dernière citation extraite du même fascicule, qui a un rapport direct avec l’œuvre de Philippe : « Remettre les marges et les périphéries au centre […] me parait ainsi, dans une économie mondialisée, au cœur des défis de l’analyse économique. C’est du moins ce que j’ai cherché à approfondir dans mes écrits sur la mondialisation, l’économie politique du développement ou l’économie politique internationale. » Cette ultime déclaration ne s’adresse-t-elle pas directement à notre compagnie ?
[1] Philippe Hugon, Mémoires solidaires et solitaires, Karthala, 2013, p. 52.
Photos ©Académie des Sciences d’Outre-Mer