Relations internationales
Textes
Les défis auxquels l'Allemagne sera confrontée en 2030.
Texte paru dans le livre en allemand "L'Allemagne et le monde en 2030" en 2018.
D’un point de vue global, le XXIe siècle sera vraisemblablement dominé par la concurrence entre la Chine, puissance ascendante, et les Etats-Unis qui accepteront difficilement de se trouver supplantés après un siècle de primauté. A l’horizon des dix ou vingt prochaines années, le risque d’un affrontement direct violent entre ces deux puissances (le « piège de Thucydide » selon Graham Allison) est infime en raison des garde-fous de la gouvernance globale existante, malgré ses insuffisances. Je ne vois guère de dégénérescence possible qu’à propos de Taïwan. La confrontation risque donc de se manifester plus ou moins ouvertement dans le nouveau tiers-monde au sens large, qui inclut l’Europe occidentale et l’ancien empire soviétique. J’appelle ici premier monde les Etats-Unis, et second monde la Chine. Les conséquences en seront hasardeuses, étant donné l’hétérogénéité politique et économique de ce nouveau tiers-monde, fragilisé par les effets d’une révolution technologique qui ne cesse de s’accélérer, avec son cortège de chômage, de déstabilisation par les réseaux sociaux et de guerres de propagande rebaptisée fake news, d’accroissement des inégalités, de mouvements non maîtrisés de réfugiés ou encore de flux migratoires. Les Etats-Unis et la Chine eux-mêmes ne sont pas à l’abri de soubresauts.
Dans l’avenir prévisible, les Etats resteront les principaux acteurs du système international. La seule manière d’éviter que ce système n’évolue de façon chaotique est de fortifier la gouvernance globale, ce qui suppose de renforcer la coopération interétatique et d’adapter l’ONU et les institutions issues de la Seconde Guerre mondiale. Tout cela paraît très difficile pour au moins trois raisons. D’abord, les Etats coopèrent plus difficilement quand ils sont faibles que quand ils sont forts. Ensuite, il est vraisemblable qu’avec ou sans Donald Trump les Etats-Unis sont rentrés dans une phase durable, non pas d’isolationnisme, mais d’introversion, avec une conception étroite de leur intérêt national. Dans le pire des cas, cela pourrait déboucher sur une guerre commerciale. Par ailleurs la Chine, même si elle manifeste le rejet du protectionnisme à travers la voix de Xi Jinping, n’a sur aucun plan vocation à exercer un quelconque leadership mondial. Mais une bonne gouvernance mondiale est-elle possible sans leader (Joseph Nye parle de « piège de Kindleberger ») ? Enfin, la cogestion des grandes interdépendances planétaires comme le changement climatique reste balbutiante et pourtant les problèmes qui en résultent vont s’aggraver, ce qui accentuera les frictions du système international dans son ensemble.
Je ne crois pas qu’il faille s’attendre à des miracles dans les douze années qui nous séparent de 2030. Des pays comme l’Allemagne ou la France ne peuvent pas mettre leur destin entre les mains des deux superpuissances du XXIe siècle. Pour la Chine, cela semble évident. Pour les Etats-Unis, parce que leur vision du monde change au gré des circonstances. A supposer même que certains des successeurs de Donald Trump attacheraient à nouveau un prix élevé à l’idée de solidarité de destin avec l’Europe, les Européens ne devraient pas oublier que la roue ne cesse jamais de tourner. De notre point de vue, il n’y a donc pas de projet plus important que d’adapter et de renforcer l’Union européenne. Or celle-ci s’est trouvée affrontée à un élargissement brutal et massif après la chute de l’Union soviétique en 1990-1991 et a commis de nombreuses fautes, comme le non-respect des règles de Maastricht en matière économique et financière, une liberté de circulation mal maîtrisée, un afflux non anticipé de réfugiés, une réaction désordonnée face au terrorisme ou d’une façon générale une gouvernance trop lourde. Les politiques étrangères et de défense des principaux membres continuent de pâtir d’une insuffisante coordination. Les crises récentes (de la zone euro, des réfugiés, du Brexit, mouvements populistes) ont cependant montré que, sur le continent, les citoyens européens sont attachés à leur Union. L’essentiel aujourd’hui est de corriger les dysfonctionnements et consolider l’Union européenne. On doit rêver d’une Union européenne capable d’exercer une influence bénéfique sur le système international dans son ensemble. Il appartient à l’Allemagne et à la France, conjointement, d’œuvrer pour que ce rêve devienne réalité. La tâche est immense, les obstacles multiples, l’accumulation des mauvaises surprises inévitable. L’effort d’adaptation économique et financière est à lui seul herculéen. Et que dire, si l’on rajoute la défense, alors que les cultures stratégiques des deux pays sont aussi différentes, et les intérêts industriels souvent conflictuels ? Que dire plus généralement face à la difficulté d’harmoniser les visions géopolitiques des uns et des autres, sans quoi aucune politique extérieure commune n’est possible ? Ce travail d’harmonisation doit porter prioritairement sur les flancs de l’Union, c’est-à-dire l’espace ex-soviétique, le Moyen-Orient et l’Afrique. La mini-guerre froide qui a succédé à la vraie est une tragédie, car sur la durée il est clair que la place de la Russie est plus proche de l’Europe que de la Chine. De même, quel intérêt avons-nous à pousser l’Iran dans la direction de l’Est ?
La consolidation de l’Union européenne est une tâche monumentale mais nous n’avons pas le choix. En 2030, nous saurons si nous avons encore des chances de rester acteurs de l’Histoire.
Dans ce livre, “L’Allemagne et le monde en 2030”, des chercheurs de renom identifient les défis auxquels l’Allemagne sera confrontée en 2030.
“Deutschland und die welt 2030”, Econ, 2018. Un projet porté par : Dirk Messner, Lutz Meyer, Stefan Mair et Wilhelm Krull
L’économie chinoise va-t-elle dominer le monde ? Quelles seront les conséquences pour l’Europe si la population africaine double d’ici 2050 ? Comment la structure politique de l’Europe évolue-t-elle et qu’adviendra-t-il de nos régions côtières lorsque le niveau de la mer montera ? À quelles attaques numériques devrons-nous faire face à l’avenir et comment maîtriserons nous les mondes parallèles numériques créés par l’intelligence artificielle ? À quoi ressembleront les guerres à l’avenir ? L’Allemagne et l’Europe joueront-elles un rôle décisif dans le nouvel ordre mondial ? Plus de 40 experts allemands et internationaux dressent un tableau général de notre avenir. Cet ouvrage rassemble les grandes tendances mondiales et présente des recommandations claires pour la politique, les entreprises et la société. Un signal d’alarme pour tous.