A la recherche d’un nouvel ordre mondial
Le Monde, 20 décembre 2017
Dans un essai géopolitique, Thierry de Montbrial, président de l’Institut français des relations internationales (IFRI), ausculte les enjeux de gouvernance d’un monde de plus en plus mouvant.
Dans un essai géopolitique, Thierry de Montbrial, président de l’Institut français des relations internationales (IFRI), ausculte les enjeux de gouvernance d’un monde de plus en plus mouvant.
Déchiffrer un monde en train de basculer et analyser les nouveaux défis qui se posent à une gouvernance mondiale encore balbutiante : tel est l’objectif pour le moins ambitieux de Thierry de Montbrial dans un essai ramassé et alerte qui veut penser à nouveau la longue durée.
Il revendique « sa conception du présent comme l’intersection d’un futur déjà là et d’un passé encore là » en réaction à un air du temps obsédé par l’instantanéité et qui, trop souvent, tend « à surestimer les changements à court terme et sous-estimer ceux à long terme ».
Polytechnicien et ingénieur des Mines, docteur en économie formé à Berkeley, le fondateur et aujourd’hui président de l’Institut français des relations internationales (IFRI) a, parmi les grands spécialistes des relations internationales, un parcours original qui le sensibilise aux effets des grandes innovations technologiques.
Qu’il s’agisse des enjeux liés au dérèglement climatique dans un univers entré dans « l’anthropocène », selon l’expression du chimiste néerlandais et Prix Nobel Paul Crutzen – pour définir une nouvelle ère géologique dominée par l’action de l’homme –, ou qu’il s’agisse des potentialités démiurgiques ouvertes par l’intelligence artificielle, il est à même d’en comprendre les enjeux et surtout de les expliquer clairement sans irénisme ni catastrophisme.
« L’utopie de la mondialisation libérale »
Les « temps des troubles », expression évoquant les empires finissants, sont toujours difficilement déchiffrables. Le vieux monde est en train de mourir mais le nouveau n’est pas encore né. D’où la tentation du repli vers l’identitaire. « L’utopie de la mondialisation libérale qui a succédé au rêve du socialisme intégral a encore plus rapidement fait long feu », note Thierry de Montbrial. Citant Paul Valéry, il n’est guère tendre pour les effets d’une Histoire mythifiée qui « enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines ».
Promettant le futur et la vie éternelle au nom du passé, les religions sont, selon lui, sur ce plan, encore plus dévastatrices, à commencer par un islam conquérant devenu, à des degrés divers, hégémonique dans les trois Etats-nations les plus grands et les plus anciens du Moyen-Orient – à savoir la Turquie, l’Iran et l’Egypte.
Thierry de Montbrial est avant tout « réaliste ». La géopolitique – c’est-à-dire tout ce qui se rapporte à l’idéologie relative aux territoires – reste à ses yeux un outil irremplaçable de compréhension d’une politique internationale toujours fondée, en ce début de XXIe siècle, sur les rapports de force et où la notion de puissance n’a rien perdu de sa pertinence. « A des degrés divers selon les lieux, le monde n’a jamais cessé d’être westphalien », insiste l’auteur. Lequel, poussant le raisonnement, relève que « l’amélioration apportée par l’ONU après l’échec de la Société des nations dans l’entre-deux-guerres a été l’inclusion d’un principe westphalien avec l’institution des membres permanents du Conseil de sécurité » dotés du droit de veto ; les grandes puissances étant, à la différence des années 1930, restées à bord.
« A des degrés divers selon les lieux, le monde n’a jamais cessé d’être westphalien »
Le « système international » né de l’après-guerre, cet ensemble d’unités – Etats, régions, villes, organisations internationales, entreprises – en interaction les unes avec les autres, a tenu mais montre aussi toutes ses limites à l’heure où émerge toujours plus la nécessité d’un minimum de gouvernance globale pour un monde multi- ou apolaire. Où le poids des Occidentaux est toujours plus relatif, tout en demeurant au centre de ce système.
Vivre le temps des troubles, de Thierry de Montbrial, Albin Michel, 170 p., 15 euros